Accueil Actu

Mai 68: le vent de la contestation souffle sur Cannes

Le 10 mai 1968, alors que Paris se hérisse de barricades, stars et starlettes se pressent au 21e festival de Cannes. Mais le vent de la contestation franchit vite les portes du festival.

Voici la dépêche rédigée après l'interruption du festival par l'envoyé spécial de l'AFP Roger Lanteri:

CANNES, 18 mai (AFP) - Le chaos a régné aujourd'hui au festival de Cannes: salle occupée, bousculades sur la scène, affrontements houleux entre spectateurs, jury démissionnaire, films retirés et, finalement, compétition arrêtée définitivement et remplacée par des projections "pour information".

Les manifestations estudiantines et ouvrières en France avaient, depuis plusieurs jours, créé un malaise chez les cinéastes et critiques du festival qui, disaient-ils, offraient aux étrangers une image fausse de la France par "ses réceptions mondaines et son insouciance".

Aujourd'hui, des cinéastes venus de Paris: François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Jean-Gabriel Albicocco, créèrent le choc qui accéléra le mouvement de protestation. A l'occasion d'une réunion du comité de défense de la Cinémathèque française (créé quelques mois auparavant pour soutenir son fondateur Henri Langlois limogé par le ministre de la Culture André Malraux, ndlr), ils proposèrent d'arrêter le festival et d'occuper le palais. Ce qui fut fait. Un meeting permanent fut immédiatement organisé.

De son côté, Louis Malle décidait de démissionner du jury et était bientôt suivi par l'Italienne Monica Vitti, l'Anglais Terence Young et le Polonais Roman Polanski. Le Français Serge Roullet, absent, s'est joint à eux par la suite. Le jury, de son côté, décida de se saborder.

Plusieurs cinéastes annonçaient dans le même temps qu'ils retiraient leurs films: Carlos Saura (Espagne), Salvatore Samperi (Italie), Milos Forman (Tchécoslovaquie), Richard Lester (Grande-Bretagne) et tous les metteurs en scène français: Alain Resnais, Dominique Delouche et Claude Lelouch (pour deux films).

Mais à partir de 15H00, avec l'arrivée au palais du public payant venu voir le film "Je t'aime, je t'aime" d'Alain Resnais, la situation devint houleuse dans une salle divisée, hurlante.

Les dirigeants du festival, MM. Marcel Flouret, Robert Favre-Le Bret, Robert Cravenne, vinrent sur scène déclarer que la compétition était annulée en raison de la démission du jury, mais que la projection continuait "pour information".

Les protestataires s'opposèrent alors à cette proposition et des bousculades sans gravité se produisirent sur la scène entre partisans et adversaires de la clôture du festival. L'ordre fut donné de commencer la projection du film espagnol de Carlos Saura "Peppermint Frappé" mais les manifestants, accrochés aux rideaux, l'empêchèrent de s'ouvrir et après quelques instants la tentative fut abandonnée.

Alors que le chaos atteignait son comble dans la salle, un accord est intervenu entre la direction du festival et les chefs de la manifestation: la compétition cannoise est suspendue, mais les films prévus au programme seront projetés sauf opposition de leurs auteurs.

Le festival de Cannes 1968 sera une manifestation sans palmarès, le premier festival inachevé.

À lire aussi

Sélectionné pour vous