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Nan Goldin: une vie de photographe parmi les morts

C'est l'une des plus grandes photographes contemporaines, à la vie marquée par les morts: du Sida à la crise des opiacés, son dernier combat, le parcours de Nan Goldin est dévoilé comme jamais dans un documentaire événement présenté à Venise.

Signé Laura Poitras, "All the Beauty and the Bloodshed" est un voyage à travers la vie de la photographe de 68 ans, connue pour ses clichés du New York underground et qui a tant côtoyé la mort.

Les amateurs connaissent déjà bien Nan Goldin, qui a pratiqué l'autoportrait et dont l'oeuvre documente une vie hors des sentiers battus. Auprès de Laura Poitras, la photographe se livre encore un peu plus, troquant l'appareil photo pour le micro.

"Nos sessions (d'enregistrement) ensemble étaient comme une thérapie sans thérapeute. J’ai parlé de choses très douloureuses", a expliqué à Venise Nan Goldin, très tôt marquée par la mort de sa soeur aînée, profondément dépressive.

Sur ce traumatisme, le film, en lice pour le Lion d'or, revient avec les comptes rendus des psychiatres décrivant une enfant privée de tout soutien avant de sombrer, mis en parallèle avec un témoignage rare des parents de Nan Goldin, aux allures de couple américain parfait, filmés par cette dernière.

Contre-champ: le rapport des médecins psychiatres de l'époque, selon lesquels ce n'est pas "Miss Goldin", la soeur chérie de Nan, mais bien "Mme Goldin", cette mère défaillante, qu'il aurait fallu soigner.

La photographe raconte que le suicide de sa soeur, qui s'est jetée sous les roues d'un train, l'a rendue muette pendant plusieurs mois, et que c'est par la photographie qu'elle a pu s'exprimer à nouveau.

- Communautés queer -

La voix de la photographe, connue pour son travail sur la sexualité ou la drogue, résonne aussi avec ses photos les plus célèbres, dont la série "The Ballad of Sexual Dependency", qui documente les communautés queer dans le New York des années 1970-80.

Et Nan Goldin lève le voile sur ses blessures et ses débuts dans la précarité. Elle raconte que c'est en "suçant un chauffeur de taxi en échange d'une course" qu'elle a pu se rendre dans la galerie qui lui achète ses premières photos.

Elle dit aussi, pudiquement, avoir dû se prostituer dans une maison close, dont elle se sortira en intégrant un bar tenu par une communauté lesbienne. Elle revient également sur son agression par l'un de ses compagnons, échappant alors de peu à la mort...

Les drames nourriront les combats de Goldin, à commencer par le Sida, qui emportera nombre de ses amis artistes. Mais fera naître aussi de nouvelles formes de mobilisation, confondant artistes et militants.

Un saut dans le temps conduit à l'époque contemporaine, où Nan Goldin a pris la tête d'un combat à la David contre Goliath contre les producteurs d'opioïdes, des antidouleurs qui ont rendu dépendants et tué un demi-million d'Américains ces deux dernières décennies.

Le documentaire y revient longuement: la photographe, ayant elle-même frôlé la mort à cause de sa dépendance, a mis sa notoriété au service de la lutte contre la richissime famille Sackler qui a produit l'Oxycodone, tout en étant mécène des plus prestigieuses institutions culturelles.

- Crise de manque -

"Ma plus grande fierté, c’est que nous ayons mis à genoux une famille de milliardaires dans un monde où les milliardaires ont une autre justice que les gens comme nous", a déclaré Nan Goldin à Venise, précisant qu'il fallait poursuivre le combat pour "garder en vie" les personnes dépendantes, les "déstigmatiser" et les traiter.

La signature de Laura Poitras, journaliste d'investigation confidente des lanceurs d'alerte Edward Snowden et Julian Assange, laissait espérer des révélations sur cet énorme scandale sanitaire.

Il n'en est rien mais le film comporte tout de même quelques séquences inédites, dont la plus forte est la captation de l'audience judiciaire de deux heures par vidéo-conférence, obtenue de haute lutte par les militants, durant laquelle les héritiers de la famille Sackler sont condamnés à écouter, derrière leur écran d'ordinateur, les témoignages de proches de victimes.

Voir ces milliardaires scruter d'un oeil vide leur écran, tandis que des parents leur font écouter les hurlements de douleur de leur fils en pleine crise de manque, et décédé depuis, glace le sang.

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