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Théâtre: la jeune scène irakienne prend ses quartiers à Besançon

"Beaucoup de nos amis du monde du théâtre sont morts ou sont en exil, peu sont restés": la paix, le dramaturge irakien Anas Abdul Samad est venue la chercher à Besançon, la ville natale de Victor Hugo dans l'est de la France, où il présente "Yes Godot".

Le temps d'un "Bagdad Festival", du 24 au 27 janvier, une dizaine d'artistes irakiens investissent la scène du Centre dramatique national (CDN) de la ville.

Metteur en scène, auteur et comédien, Anas Abdul Samad, 44 ans, a baptisé sa troupe "Impossible Theater Group", allusion caustique à la situation de son pays où "il est impossible de vivre du théâtre".

C'est pourtant à Bagdad qu'il a créé "Yes Godot", inspirée de l’œuvre de Samuel Beckett et jouée trois soirs de suite à Besançon.

Sur scène, quelques dizaines de cartons symbolisent les immeubles en ruine d'une capitale irakienne défigurée par la guerre. Dans un coin, une cage à oiseau, un porte-manteau. Au fond, la figure tutélaire de Samuel Beckett projetée sur une large toile.

La pièce, sans paroles, emprunte à la pantomime pour témoigner de la violence paroxystique qui s'est emparée de l'Irak depuis la chute de Saddam Hussein.

"Le centre de +Yes Godot+, c’est cette idée d’attente qui génère toute cette violence", explique Anas Abdul Samad. Avec deux autres comédiens, il parcourt la scène à différentes allures pour signifier le temps qui s'écoule.

Après 45 minutes de représentation, rien ne s’impose au public. "A chaque spectateur son Godot. Son attente".

"On s’inspire des différentes périodes qu’a connu l’Irak, l’époque de Saddam Hussein notamment", décrypte-t-il tout juste.

De 1992 à 2003, année où une coalition internationale conduite par les Etats-Unis chasse le dictateur du pouvoir, la censure exclut la troupe de Anas Abdul Samad des lieux de culture officiels.

- "Rescapés" -

"Je présentais mes travaux dans des maisons particulières ou chez moi". Après, avec l’arrivée de l’armée américaine, "j’ai commencé à respirer un air de liberté" mais dans "une période très difficile, de chaos total".

Aujourd’hui, la création artistique à Bagdad est encore à des années lumière du modèle français. "Il y a peu de salles, de budget. Le public qui vient ne paie pas sa place", explique le dramaturge qui juge paradoxalement ces contraintes "très bénéfiques du point de vue de la création théâtrale".

Anas Abdul Samad savoure sa chance d’être à la fois témoin et acteur de l’histoire culturelle de son pays. "Si on a passé toutes ces époques, c’est qu’on est des rescapés de ces violences", constate-t-il prosaïquement.

Le dramaturge a choisi de continuer à vivre et travailler en Irak pour défendre "l’idée même de faire du théâtre qui est une forme d’espoir et pour montrer que la vie continue et prend le dessus".

Mais internet, note-t-il, a ouvert de nouveaux horizons aux créateurs irakiens. "Avant, on présentait nos spectacles dans un cadre très intimiste avec une petite jauge de public. Depuis, on nous a découvert à l’étranger et on a pu montrer nos spectacles à travers le monde". Lui-même parcourt le monde avec ses créations et ses ateliers de théâtre : Tokyo, Amman, Rome, Le Caire, Tunis, Istanbul...

La venue à Besançon d’Anas Abdul Samad et d’une dizaine d’autres artistes, acteurs, poètes, photographes, est à l'initiative de la directrice du CDN Célie Pauthe qui s'est rendue à plusieurs reprises en Irak pour découvrir la jeune scène bagdadie et offrir des résidences d’artistes en Europe.

Sept film irakiens sont aussi à l'honneur dans ce Bagdad festival de janvier et une troisième édition est prévue en mai.

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