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Vitebsk, laboratoire de l'avant-garde autour de 1920 : une exposition au Centre Pompidou

Entre 1918 et 1922, une ville moyenne de Biélorussie, Vitebsk, devient en pleine agitation post-révolutionnaire un laboratoire de l'avant-garde autour de trois artistes emblématiques : Chagall, Lissitzky, Malévitch. Une exposition au Centre Pompidou fait revivre cet épisode peu connu de la modernité.

Ouverte du 28 mars au 16 juillet, l'exposition évoque aussi, à travers 250 oeuvres et documents, la confrontation esthétique de ces trois grands créateurs, aux personnalités si différentes.

Vitebsk (aujourd'hui au Bélarus) est la ville natale de Marc Chagall, mais c'est à Saint-Petersbourg que le peintre a vécu en direct la révolution bolchévique.

"C'est une période très exaltante dans la vie de Chagall, explique Angela Lampe, commissaire de l'exposition. Il a épousé sa fiancée Bella Rosenfeld, sa fille Ida est née en 1916, et pour la première fois, grâce à la révolution, il est citoyen russe à part entière, alors qu'en tant que juif, il était auparavant considéré comme un citoyen de deuxième classe".

Ce moment d'euphorie personnelle et politique est manifeste dans ses toiles, comme "Au-dessus de la ville", où le couple enlacé survole Vitebsk.

C'est aussi la période où Chagall s'engage politiquement. Défendant un projet d'école d'art ouverte à tous, sans distinction d'âge ni de ressources, ce dont il n'avait pu bénéficier dans sa jeunesse, il est nommé commissaire aux Beaux-Arts à Vitebsk.

Le 28 janvier 1919, l'école est inaugurée. Elle réunit des créateurs très divers, de l'académique Iouri Pen, son ancien professeur, au futuriste Ivan Pouni.

Chagall fait appel à Lazar Marcovitch Lissitzky, dit El Lissitzky, qui vient de Kiev pour diriger les ateliers d'art graphique, d'imprimerie et d'architecture. "Il connaît Chagall depuis l'adolescence, il est juif lui aussi", rappelle Angela Lampe. Et très engagé politiquement. "Avec lui, tout change. Architecte de formation, il bascule dans l'abstraction".

- "nouveaux systèmes" -

Très impliqué dans l'enseignement dispensé à l'école, Lissitzky va aussi consacrer beaucoup de moyens à l'édition et à la diffusion d'un ouvrage théorique de Malévitch, intitulé "Des nouveaux systèmes en art".

C'est son premier essai sur le suprématisme, doctrine prônant un art abstrait basé sur des figures géométriques basiques (cercle, carré, rectangle, croix, triangle) et des couleurs primaires.

A l'invitation de Lissitzky, le radical Malévitch devient à son tour professeur à Vitebsk où son charisme séduit rapidement de nombreux disciples.

S'il s'emploie à diffuser les théories nouvelles, Lissitzky conserve néanmoins son autonomie en réalisant une série d'oeuvres baptisée Proun et exceptionnellement réunies dans l'exposition.

Proun est l'acronyme en russe de "projet pour l'affirmation du nouveau" ou de "projet de l'Ounovis", un collectif créé par les deux artistes.

L'Ounovis, dont les membres portent un carré noir cousu sur leur manche de veste, diffuse l'esthétique suprématiste dans tous les domaines de la vie, des tramways aux façades des bâtiments, jusqu'aux plus triviaux, comme les cartes d'alimentation.

Deux photos de Malévitch entouré de ses étudiants ne laisse pas de doute sur l'influence intellectuelle qu'il exerce. L'exposition permet aussi de découvrir des artistes peu connus comme Ivan Koudriachov ou Lev Ioudine.

Chagall, isolé, attaché à la figuration, voit ses élèves se détourner de sa classe pour rejoindre les suprématistes. Il décide alors de partir pour Moscou en juin 1920.

S'estimant trahi par ses amis, il gardera une certaine amertume de cette période. L'école rencontre bientôt de graves difficultés financières - elle ne connaîtra qu'une seule promotion en mai 1922. De plus le climat politique a changé: le réalisme socialiste pointe dans les critiques de l'art abstrait par les autorités soviétiques.

En 1921, Lissitzky part à son tour. Il s'installera en Allemagne en 1922 et présentera à Berlin un espace Proun en trois dimensions, dont l'exposition présente une fascinante reproduction.

Enfin Malevitch s'en va à son tour à Pétrograd pour poursuivre ses recherches encore plus théoriques.

fa/ial/it

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