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Dans les coulisses d'un data center hyper sécurisé en Wallonie (photos)

Un nouveau centre de traitement de données informatiques est né dans le parc Crealys de Gembloux. Et pour une fois, quelques journalistes ont pu visiter et photographier les entrailles de ces infrastructures devenues essentielles.

Les centres de traitement de données, plus connus sous leur nom anglais de data centers, sont des lieux à l'accès très restreint. Il est généralement impossible de voir la moindre salle informatique.

Mais quand ils viennent d'être terminés, comme c'est le cas de l'Agility Center Cofely, dans le parc scientifique et industriel Crealys, à Gembloux, il est encore possible de jeter un œil dans les entrailles de ces mystérieux bâtiments. Pour mieux comprendre comment ils fonctionnent, et à quoi ils servent (voir les photos).

 

C'est quoi, un data center ?

Comme vous le voyez sur les photos, extérieurement, un data center est une usine comme une autre: un seul étage, sans fenêtre. Mais quelques indices extérieurs attirent immédiatement l'attention, comme les énormes refroidisseurs ou les nombreuses cabines à haute tension.

C'est qu'il en faut, de l'électricité, pour faire tourner un data center. Revenons à la base: qu'est-ce qu'un data center ? Il s'agit d'un site spécialement conçu pour héberger des serveurs informatiques. Ce sont de grands ordinateurs, qui rassemblent et gèrent de nombreux disques durs. On peut les voir comme des grands réservoirs de mémoire, qui stockent une immense quantité de données (des fichiers, des documents, des photos, des sites web, etc…).

 

Incontournables serveurs

Ces serveurs sont essentiels à la moindre activité en ligne. Une recherche Google, un statut Facebook, un mail envoyé, une photo reçue… tout transite par ces grandes armoires de disques durs, qui traitent un nombre sans cesse croissant de données.

Afin de garantir le bon fonctionnement de ces serveurs très gourmands en énergie, il faut une alimentation d'excellente qualité en électricité, et des moyens innovants pour refroidir les grandes salles où sont stockés ces serveurs. Car ceux-ci produisent beaucoup de chaleur, alors qu'ils ne supportent pas plus de 21 degrés.

Il existe environ 4.000 data centers dans le monde, dont une petite trentaine en Belgique. Il y en a sept à Bruxelles, dix-sept en Flandre et seulement… quatre en Wallonie.

 

A quoi sert le data center de Gembloux ?

Après Mons (Google, un cas à part) et Liège (il y en a trois), la Wallonie renforce sa "toile" très pauvre de connexions en data centers. Le très moderne "Agility Center", financé et géré par Cofely, une filiale du Groupe GDF-Suez, s'est implanté à Gembloux.

"Il est l'un des plus modernes et des plus efficaces qui soient. On utilise les meilleurs matériaux pour réduire la consommation d'électricité, des méthodes de refroidissement bientôt brevetées, et on a les critères les plus strictes en matière de sécurité", nous a confié Thibaut Meur, Business Development Manager.

Contrairement au data center de Google à Mons, qui stocke ses propres données pour ses propres services, à Gembloux, "nous faisons du 'housing': nous louons nos infrastructures à la pointe de la technologie à d'autres entreprises".

 

Qui sont les clients ? 

Les clients typiques sont "des entreprises qui ont besoin de bonnes infrastructures informatiques, qui ont besoin de stocker et de protéger une grande quantité de données, ou des sociétés internationales qui veulent s'implémenter en Belgique".

A l'heure actuelle, la plupart des entreprises gardent chez elles les données les plus importantes, qui servent à la production. Mais pour tout le reste (mail, bases de données diverses, archives, etc), la tendance est de délocaliser chez des spécialistes.

Leur premier client, c'est… Electrabel, une société sœur. Elle est à l'origine du projet, et occupe une grande partie du site. 

Au final, s'il s'agrandit comme prévu, le site offrira 5.500 m² d'espace disponible. Sachez qu'un gros client, une banque belge par exemple, a besoin de 500 m² pour stocker toutes ses données.

 

Paranoïa

Si l'on prend l'exemple d'une banque, la sécurité des données est essentielle. Mais sa disponibilité aussi. Si vous utilisez le PC banking et qu'il est en panne un jour sur deux, ou que vos données de compte en banque sont erronées, c'est la catastrophe.

On comprend mieux la paranoïa qui se cache dans la moindre pièce de ce data center. "On vous fait visiter parce que c'est l'inauguration. Mais dans deux semaines, plus personne ne met un pied ici", plaisante M. Meur.

Six personnes travaillent 24h sur 24 pour la sécurité et la surveillance. Il y a des clôtures électrifiées autour du site. Même si vous parvenez à franchir la porte principale, il faut ensuite entrer dans les salles où se trouvent les serveurs. "Il y a des sas de sécurité, qui ne s'ouvrent qu'avec vos empreintes digitales, qu'il faut préalablement enregistrer. Votre poids est mesuré à l'arrivée et à la sortie, pour voir si vous n'avez rien emporté!".

Une sécurité qui parait excessive, mais elle est devenue essentielle en 2013. "Plus on est parano, plus on a de bons contrats".

Pour garantir le fonctionnement continu des serveurs, sachez que chaque salle a sa propre alimentation haute tension, ses propres batteries de secours et qu'à l'extérieur, il y a un énorme générateur au diesel, grand comme un moteur de bateau, "capable d'alimenter tout le site durant 72h en cas de panne électrique". Et pour être sûr, il y en a un deuxième, à côté.

Et si malgré tout, un disque dur "casse", pas de souci: tout est dupliqué en permanence sur un autre disque… C'est ce qu'on appelle la redondance, et elle se situe à tous les niveaux.

En cas d'incendie, enfin, il y a des grandes bombonnes de gaz inerte dans la "cave", qui se répand en quelques secondes dans toutes les salles, les privant d'oxygène et donc, étouffant les flammes.

 

Un data center "vert" ?

Du travail de pro, donc, qui permet d'atteindre des consommations peu élevées. On parle d'un PUE (Power Usage Effectiveness, ou Indicateur d'efficacité énergétique) de 1,25. Cela signifie que pour un serveur qui consomme 1 kw par heure, il ne faut prévoir que 1,25 kw au total si l'on tient compte du refroidissement, des batteries de sauvegarde, de l'éclairage, etc.

Avant, il en fallait 2. "Et quand on sait que la consommation électrique représente 50% du coût de fonctionnement total d'un data center, vous imaginez l'importance de réduire cette consommation au maximum", nous a confié Jacques Tilquin, le responsable de Cofely pour la Wallonie.

Cette faible consommation est rendue possible grâce à plusieurs énormes "FRAU", un système développé par Cofely pour capter l'air extérieur et l'envoyer refroidir les salles de serveurs. Grâce à eux, la "clim" ne se met en route que lorsqu'on dépasse les 19° à l'extérieur. Et en Belgique, c'est plutôt rare.

On peut donc parler d'un data center "vert". Car même si c'est une source de consommation très importante d'électricité, il est très efficace. Au lieu que 100 entreprises consomment beaucoup pour leur petit data center mal équipé, il est plus écologique et économique de les centraliser à Gembloux, par exemple.

 

Qui a payé ?

Ces installations modernes et cette sécurité, ça se paie. Coût total de l'investissement: 32 millions d'euros, financés par Cofely, cette filiale de GDF-Suez. "C'est une initiative entièrement privée. On a eu des problèmes avec les riverains, qui craignaient le bruit. On a dû changer de site, et refaire toutes les études de terrain. On a perdu un an", selon M. Tilquin.

Qui dit investissement, dit retour sur investissement. Ce data center est supposé être rentable, bien entendu. Ceux qui vont payer, ce sont donc les clients, qui vont louer les infrastructures du data center.

"Les contrats de location sont très personnalisés. Il y a des loyers mensuels ou annuels, et ça dépend si vous voulez un rack (une armoire avec des serveurs), une cage (un ensemble personnel et sécurisé d'armoires) ou une suite (un environnement encore plus personnalisé). C'est donc impossible de donner un tarif typique, mais on est dans les prix du marché", nous a confié Thibaut Meur.

Enfin, sachez qu'au niveau du personnel, "il n'y a que six personnes pour s'assurer du bon fonctionnement des infrastructures informatiques", selon M. Tilquin. "Plus le personnel de la sécurité, de l'entretien, du nettoyage, etc".

 

Conclusion

Il est essentiel que la Wallonie développe son maillage de data centers. De trois (à Liège), on ajoute un quatrième pion, flambant neuf, à Gembloux. "C'est l'infrastructure de base du 21e siècle. Avant, il fallait une gare ou un aéroport. Dorénavant, il faut de bons data centers".

Car aux alentours, les activités IT, essentielles dans la difficile transition que connait notre économie, "vont naturellement se développer". Les data centers "sont des incubateurs de plus petites sociétés". Ils attirent également de grosses multinationales désireuses de s'installer en Belgique.

Nos start-ups belges manquent d'argent et d'investisseurs. C'est une triste réalité, qui les pousse à rejoindre San Francisco pour se développer. Mais si les infrastructures suivent, qui sait si les investisseurs wallons ne vont pas se manifester davantage ?

Elio Di Rupo, notre premier ministre, a beaucoup parlé des énormes investissements de Google à Mons (bientôt 550 millions d'euros et 120 emplois permanents). C'est une très bonne chose pour l'emploi, mais vu qu'il n'héberge que ses propres services et données, il ne va pas stimuler la croissance de l'activité IT en Wallonie.

Celui de Cofely qui nous a ouvert ses portes est bien entendu une initiative privée, qui cherche à faire de l'argent. Mais sa présence dans notre Région peu connectée pourrait avoir des effets très positifs.

 

Mathieu Tamigniau (@mathieu_tam

 

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