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La saisie d'emails à l'étranger devant la justice américaine

Les autorités américaines peuvent-elles forcer Microsoft à leur remettre des emails stockés sur un serveur situé hors des Etats-Unis ? La Cour suprême est apparue mardi perplexe et divisée sur cette question lourde de conséquences internationales.

L'affaire a débuté en 2013, sous la forme d'un mandat de perquisition enjoignant le géant informatique de remettre les contenus d'un compte email utilisé par un trafiquant de drogue présumé.

Problème, les messages visés étaient stockés en Irlande. Microsoft gère une centaine de centres d'hébergement de données répartis dans 40 pays.

Microsoft a refusé de s'exécuter, en soutenant qu'opérer une saisie dans un serveur à Dublin revenait à fouiller un domicile dans un autre pays que les Etats-Unis.

L'audience mardi devant les neuf plus hauts magistrats des Etats-Unis marquait la dernière manche d'une bataille judiciaire de cinq ans.

Les vénérables sages, parmi lesquels deux octogénaires, ont effectué une plongée dans le numérique, univers qu'ils donnent parfois l'impression de découvrir.

"Ces emails sont stockés en Irlande et la DEA (agence fédérale antidrogue, NDRL) veut nous forcer à aller les chercher", a dénoncé Joshua Rosenkranz, l'avocat de Microsoft.

"Il s'agit d'un acte extraterritorial interdit", a-t-il ajouté, affirmant que la loi en vigueur, le Stored Communications Act (SCA) s'appliquait aux perquisitions sur le territoire américain.

L'avocat du gouvernement, Michael Dreeben, a défendu une position différente, rejetant la notion de "saisie" effectuée à l'étranger.

- Email: immatériel ou pas ? -

L'injonction judiciaire impose à Microsoft de divulguer les emails sous son contrôle, où qu'ils soient, un acte que peut réaliser depuis les Etats-Unis un technicien devant son écran, a expliqué M. Dreeben.

La loi SCA, a-t-il plaidé, "se focalise sur la divulgation et non le stockage".

Le juge conservateur Samuel Alito a été sensible à cet argument, s'inquiétant du fait qu'on puisse facilement déplacer des emails d'un serveur à un autre, compliquant les enquêtes policières.

"Ces emails ont une présence physique", a rétorqué M. Rosenkranz. "Ils n'existent qu'en Irlande".

"On peut aussi déplacer des lettres en papier", a-t-il poursuivi.

Face à ce casse-tête, la magistrate progressiste Sonia Sotomayor a suggéré d'attendre que le Congrès vote le "Cloud Act", une loi en discussion censée rénover le Stored Communications Act, adopté en 1986 et aujourd'hui dépassé.

Ce débat est suivi de près par deux camps qui se méfient l'un de l'autre: d'un côté se trouvent les partisans de l'intérêt supérieur des enquêtes, de l'autre les firmes technologiques soucieuses de protéger la vie privée de leurs clients.

Pour le ministère américain de la Justice, "des centaines voire des milliers d'enquêtes pénales" sont en jeu.

Le dossier soulève également le risque de "créer des problèmes internationaux" avec des pays jaloux de leur souveraineté, a averti la juge Sotomayor.

- L'après-Snowden -

Selon Microsoft, si on autorise la saisie d'emails à l'étranger, rien n'empêche en retour des policiers étrangers d'exiger des données stockées aux Etats-Unis.

Les révélations retentissantes d'Edward Snowden ont contribué à donner un relief particulier au débat: l'ancien consultant de l'Agence de sécurité nationale (NSA) a montré en 2013 l'existence d'un système de surveillance mondiale des communications et d'internet par les Etats-Unis.

Depuis, une défiance difficile à résorber oppose les autorités fédérales aux groupes de la Silicon Valley.

"Une victoire est importante dans ce dossier afin que la population mondiale reprenne confiance dans les technologies américaines", a déclaré la semaine dernière le président de Microsoft, Brad Smith.

Parmi les grands groupes soutenant Microsoft figurent son grand rival Apple, les géants de la distribution en ligne Amazon et eBay, les opérateurs de télécoms AT&T et Verizon ou encore le géant informatique HP.

- L'UE donne de la voix -

L'Union européenne a de son côté voulu peser dans la dispute et a envoyé un argumentaire à la haute cour de Washington.

Les données numériques stockées en Europe relèvent de la loi européenne, a-t-elle fait valoir.

La France a elle rappelé son "attachement à la conclusion de conventions internationales bilatérales ou multilatérales en vue d'éviter ou de résoudre de tels conflits".

Microsoft se défend de traîner les pieds quand sa coopération est demandée dans les enquêtes.

Après l'attaque contre Charlie Hebdo en janvier 2015, la société assure avoir répondu en 45 minutes à une demande des autorités françaises. Un délai tombé à 30 minutes après l'attentat de Westminster en mars 2017 à Londres.

La Cour suprême américaine rendra sa décision d'ici fin juin.

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