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"Le fleuve a tout emporté": quand le Brahmapoutre dévore la terre

Les flots du Brahmapoutre ont déjà englouti le village de Nandiram Payeng et leur voracité ne s'arrêtera pas là, tant le réchauffement climatique et les erreurs humaines rendent de plus en plus dévastateur ce puissant fleuve traversant la Chine, l'Inde et le Bangladesh.

En 2007, Nandiram Payeng, paysan du nord-est de l'Inde, et 10.000 autres familles ont dû abandonner au fleuve leurs habitations. Le Brahmapoutre avait mangé près de la moitié de la surface de l'île fluviale de Majuli, presque 500 km2. Et dans une vingtaine d'années, le reste de cette île sablonneuse au patrimoine culturel exceptionnel pourrait disparaître sous la surface des eaux du grand fleuve sacré.

"Nous vivions satisfaits et heureux. Nous avions nos maisons, fermes et bétail dans notre village. Mais en 2007 le fleuve a tout emporté", se souvient Nandiram Payeng, qui survit désormais dans un cahute sur pilotis en bordure d'une route.

"Désormais nous cultivons des champs qui appartiennent à d'autres et nous devons leur donner la moitié de la récolte", explique à l'AFP ce veuf de 55 ans au visage ridé par le soleil.

Craint et révéré par les millions de personnes qui vivent le long de son parcours de 2.900 kilomètres, le Brahmapoutre prend source au Tibet, et file vers les plaines du nord-est de l’Inde en longeant la chaîne de l'Himalaya, avant de se déverser dans le golfe du Bengale.

Le fleuve, dont la largeur atteint par endroits 20 km, est essentiel au mode de vie des habitants de la région. Mais chaque année, les violentes pluies de mousson le poussent hors de son lit, provoquant d'immenses inondations qui ravagent toujours plus de cultures et villages.

- Fonte de glaciers –

Nommé dans sa partie indienne "fils de Brahma" – l'un des plus grands dieux hindous –, le fleuve est sacré pour les Indiens. Ses riverains y déposent des bougies en terre cuite et des fleurs au fil de l'eau pour l'apaiser.

L’île de sable, marais et forêts de Majuli abrite un patrimoine culturel exceptionnel. Ici ont été fondés des monastères hindous hors du commun, des "satra", datant du XVIe siècle.

Les 170.000 habitants de Majuli, principalement des populations de l'ethnie Mishing, ont de longue date déplacé leurs huttes de bambous vers des zones plus élevées, emportant avec eux chèvres, cochons et poulets.

"Nous avons appris à vivre avec le fleuve. Nous ne pouvons pas le combattre, donc il vaut mieux être ami avec lui", explique Sunil Mili, un cultivateur de riz et graines de moutarde. À proximité de ses champs, le fleuve s'écoule imperturbable, couleur limon.

Selon les experts, la puissance grandissante du Brahmapoutre est nourrie par la fonte des glaciers himalayens, dont les deux tiers pourraient avoir disparu d'ici à 2100 selon une étude scientifique. Les moussons sont, dans le même temps, de plus en plus imprévisibles.

"Chaque année le Brahmapoutre grossit. Il perd de la profondeur et s'étend. Il attaque nos rives et érode notre terre continuellement", observe Mitu Khatamiar, un journaliste local.

D'une surface de 1.250 kilomètres carrés en 1890, Majuli ne mesure plus qu'environ 515 kilomètres carrés, même si les habitants tentent de regagner du terrain à l’aide de sacs de sable.

"En 1950, il y avait 210 villages. Aujourd'hui il en reste 141", explique à l'AFP Ajit Sarma, un responsable local, craignant que l’île n'ait complètement disparu dans 20 ans, en dépit des efforts des habitants.

- Digues -

Des centaines de millions d'euros ont été investis pour construire des milliers de kilomètres de digues de le long de ses berges, selon l'expert en fleuves Himanshu Thakkar.

Mais ces infrastructures destinées à contenir ses débordements l'ont rendu plus dangereux, en renforçant son débit.

"Lorsque vous construisez des digues, vous forcez le fleuve à couler dans un espace contraint. Vous transférez en réalité les inondations en aval – et vous les rendez plus rapides", explique l'expert.

"Le Brahmapoutre est un cours d'eau sujet aux inondations mais nous aggravons la situation en raison des nombreuses activités humaines, sans comprendre leur incidence sur le fleuve", dénonce-t-il.

Face à cette situation, Sunil Mili, le cultivateur de graines de moutarde, ne peut que placer sa foi en une force supérieure.

"Nous aimons le fleuve mais nous savons qu'un jour il dévorera toute notre terre", déclare-t-il. "Tout ce que nous pouvons faire, c'est prier pour que le Brahmapoutre se montre clément et que nous puissions vivre en harmonie comme les générations avant nous."

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