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A Château-Thierry, une prison unique en France "face à la vraie folie"

Une prison pour "psychopathes": en 1950, la prison de Château-Thierry s'est spécialisée dans ces détenus, parmi les plus difficiles à gérer. Depuis, le vocabulaire a évolué, mais cette maison centrale, unique en France, reste dédiée aux criminels malades, atteints de folie.

Les murs de la prison s'élèvent, tout près du centre-ville, sur les hauteurs de Château-Thierry (Aisne). Le bâtiment, construit en 1850, est classé aux monuments historiques. Pas de miradors: on est loin des prisons ultra-sécurisées modernes.

Et pourtant, dans les conversations sont évoqués les crimes les plus effroyables. Ici, on entend parler de "prédateur sexuel", de "cannibale"...

La maison centrale compte 75 détenus pour cent places, plus de 70 personnels de surveillance, mais un seul poste de psychiatre. La grande majorité des prisonniers souffrent de troubles psychotiques sévères et récurrents, notamment de schizophrénie et paranoïa.

"On est face à la vraie folie", explique à l'AFP Frédéric Lopez, directeur de la prison. Il évoque ce détenu qui mangeait tout ce qui était métallique, un autre qui badigeonnait tout avec des excréments.

"On nous les envoie pour les calmer", poursuit Renald Champrenaut, Premier surveillant, arrivé à Château-Thierry en 1996. La mission de l'établissement consiste à réadapter ces détenus à la vie carcérale.

Le plus ancien détenu de la prison, Didier, 62 ans, est incarcéré depuis 1976. "Ailleurs, je me coupais sans arrêt", confie-t-il en montrant ses bras striés. Il s'est aussi coupé deux doigts. "J'ai mes habitudes ici, on a de bons contacts avec les surveillants", explique-t-il, le regard dans le vide, dans sa cellule exiguë de 6m2 décorée d'affiches de films de Clint Eastwood.

"C'est un peu une famille ici. C'est notre maison", raconte Philippe, arrivé il y a 14 mois après "avoir fait six prisons". D'une élocution difficile à comprendre, il raconte sa piqûre "tous les trois mois". "J'apprends l'informatique pour faire des CV quand je sortirai dans 5 ans".

Des détenus et surveillants s'appellent par leur prénom, se tutoient. "On a l'impression de servir à quelque chose ici: on n'est pas juste là pour ouvrir et fermer les portes. On prend le temps quand un détenu ne va pas bien. On peut l'amener dans le jardin", raconte le surveillant Dominique Lakomiak.

- Refus de soins -

Mais cela n'empêche pas les violences contre les surveillants. Dix-neuf cas ont été dénombrés en 2018. "Travailler ici nécessite du sang froid et la capacité d'absorber une violence liée à la folie", souligne Frédéric Lopez.

Le 5 mars, un surveillant a été attaqué par un détenu, qui a entaillé son visage de la lèvre à la jugulaire, avec une arme artisanale qu'il avait fabriquée. "Le rapport d'expertise du détenu parle de grande paranoïa. Mais il n'accepte pas les soins", explique le chef d'établissement.

Avant le passage à l'acte, il avait prévenu l'hôpital mais sans obtenir une prise en charge. Comme lui, onze prisonniers refusent de se soigner.

En 2017, un rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté a accablé cette prison, critiquant sa "grande vétusté" et le recours "fréquent" aux injections forcées, illégal en détention.

"Les pratiques ont depuis évolué", assure M. Lopez. "Mais les soins sous contrainte n'existant plus ici, la prise en charge est très compliquée en cas de crise".

"Quand un patient refuse de se soigner, il ne reste que la négociation", complète le psychiatre de l'unité sanitaire de la prison, Dr Houcine Fethi. "En cas de crise aiguë, ils deviennent très violents. Dans ce cas, il nous faut les faire sortir, en demandant" une hospitalisation d'office.

Mais se pose alors la question des délais, des places dans les hôpitaux psychiatriques, de leurs locaux qui ne sont pas adaptés aux criminels. "A Château-Thierry, la crise de la psychiatrie se ressent encore plus qu'ailleurs. Nous sommes usés", ajoute le médecin.

"Nos détenus font peur. Nous devons souvent garder des personnes qui ne trouvent leur place nulle part, ni en prison, ni à l'hôpital", explique Frédéric Lopez.

Après l'agression du 5 mars, des surveillants se sont mobilisés pour plus de sécurité, inquiets face aux défaillances de la prise en charge psychiatrique quand les détenus sont en crise.

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