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A Fos-sur-Mer, l'Europe au défi d'un épais nuage de polluants

Bains de mer avec cocktails de particules fines. Près de Marseille, dans l'une des zones les plus industrialisées de France, l'UE peine à convaincre de l'efficacité de sa politique écologique, enjeu majeur des élections européennes.

"J'en veux à l'Union européenne ! Qu'est-ce qu'ils attendent pour imposer une prise de conscience !", s'emporte Daniel Moutet, l'une des figures du combat contre la pollution à Fos-sur-Mer, cité industrielle au bord de la Méditerranée, à quelque 50 km au nord-ouest de Marseille.

Respirant les fumées de l'un des plus gros complexes portuaires et industriels d'Europe, des habitants sont rongés par le cancer et les maladies chroniques, plus fréquentes ici.

En mars 2018, pour la première fois, l'État français, par le biais de l'Agence régionale de santé (ARS), a reconnu que l'état de santé des habitants de la zone de Fos était "fragilisé" par la pollution. Un an plus tôt, une étude indépendante baptisée "Fos-Epseal" concluait que les femmes interrogées dans la zone avaient trois fois plus de cancers que la moyenne nationale, ou encore que 63% de l'échantillon interrogé déclarait une maladie chronique.

L'Union européenne a beau vanter ses "normes environnementales parmi les plus strictes au monde", des habitants dénoncent un air empoisonné. "Il y a un manque de volonté européenne. Moins on pousse les industries, mieux on se porte", s'indigne M. Moutet, les traits fatigués par des années de combat. Il a déclenché l'an dernier un diabète, possiblement lié aux émanations qu'il dénonce.

Surplombant une plage immaculée, dans un paysage saisissant d'acier et de béton, des dizaines de cheminées crachent leur fumée. "Il y en a des blanches, c'est de la vapeur d'eau. Mais aussi des rouges et des jaunes, les plus dangereuses. On a appris à les reconnaître", explique Martine Monnier, 65 ans, qui profite du soleil printanier sur le sable.

A Fos comme ailleurs, la législation européenne impose des niveaux de polluants maximaux dans l'air. La France doit s'y conformer et fixe pour cela des seuils d'émissions aux usines.

Certains points s'améliorent, comme a pu en témoigner fin mars une étude sur les cernes des arbres: elle montre une réduction de la pollution au mercure depuis les années 1970, en parallèle au durcissement des normes.

Un site comme la raffinerie Esso, qui produit 7 millions de tonnes de produits pétroliers par an, explique que ses cheminées rouges et blanches ont divisé en dix ans leurs émissions de souffre par deux et d'oxydes d'azote par trois. "Il y a beaucoup de contrôles inopinés" par les services de l’État et "on maîtrise bien notre empreinte environnementale", affirme son directeur, Stefaan Van Severen.

- "Effet cocktail" -

Mais la défiance demeure: les directives européennes "ne permettent pas de prendre en compte l'effet cocktail, l'accumulation de toutes ces pollutions" à Fos, cerné également par le trafic des avions, cargos et camions, regrette M. Moutet.

Même scepticisme chez René Raimondi, un "partisan de l'Europe fédérale" et maire socialiste de Fos-sur-Mer pendant quatorze ans. "La France a été condamnée maintes fois par l'Europe pour les particules fines, et rien ne se passe ensuite!", regrette-t-il. Les autorités françaises "se fichent un petit peu de ce que l'Europe peut dire. Ils sont plus enclins à faire en sorte que nos industries ne soient pas trop gênées", dénonce-t-il.

Dans ce bastion ouvrier qui a souffert de la désindustrialisation, le choix entre environnement et emploi est souvent vécu comme un dilemme. Dans ce contexte, "l'Europe offre des moyens d'agir sur l'Etat", reconnaît le président dans cette région de l'association France Nature Environnement (FNE).

Certaines choses bougent: l'aciérie d'ArcelorMittal, dans le viseur de l'association depuis des années, a écopé fin 2018 d'une amende de l'Etat français pour des rejets excessifs de benzène. La somme, 15.000 euros, reste toutefois symbolique pour l'un des principaux industriels de la zone.

Le groupe a affirmé début février qu'il prévoyait d'avoir résolu les problèmes environnementaux survenus sur le site de Fos-sur-Mer d'ici "la fin avril". Le directeur général d'ArcelorMittal Europe, Aditya Mittal, a précisé que le groupe avait investi presque 100 millions d'euros depuis 2012 pour améliorer les paramètres environnementaux à Fos-sur-Mer.

Face à ces mises en cause, l'UE assure jouer son rôle de "gendarme" de l'air pur. Représentant à Marseille de la Commission européenne, Alain Dumort en veut pour preuve la "mise en demeure" adressée par l'UE en janvier à la France. Une étape juridique importante et la preuve que les normes européennes sont "plus que sérieuses", selon lui.

L'Union finance par ailleurs aussi des projets de recherche, avec l'espoir de rendre les industries plus "vertes". A Fos-sur-Mer, un projet européen cherche à "valoriser" les gaz industriels pour produire isolants ou revêtements plastiques plutôt que de les laisser s'échapper.

Un programme doté de 7 millions d'euros sur quatre ans, mais dont les résultats restent trop incertains et lointains pour rassurer les habitants du golfe de Fos, à deux mois des élections européennes.

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