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A la sortie des usines de désalinisation, plus de rejets toxiques que d'eau

De plus en plus nécessaires, les usines de désalinisation dans le monde produisent aussi plus de rejets toxiques que d'eau, selon un bilan publié lundi, illustration des nombreux dilemmes générés par la crise environnementale.

Pour chaque litre d'eau douce, destinée à la consommation humaine ou à l'industrie, une usine rejette en moyenne 1,5 litre de "saumure", une boue ultra-saline, montrent des chercheurs de l'Université de l'ONU au Canada, aux Pays-Bas et en Corée du sud, qui ont revu à la hausse les précédentes estimations.

Selon leur étude parue dans la revue Science of the Total Environment, les près de 16.000 usines en activité rejettent chaque jour 142 millions de m3 de saumure, 50% de plus qu'on ne l'estimait jusqu'ici : de quoi couvrir la Floride de 30 cm en un an !

La plupart, proches de l'océan, le font directement dans la mer, ainsi que dans les rivières et eaux de surface, où la concentration en sel bouleverse les écosystèmes et accroît la température des eaux. A cette pollution s'ajoute celle des produits chimiques utilisés, à base de chlore ou de cuivre.

Or les usines de désalinisation, présentes dans 177 pays, notamment en Afrique du nord et au Proche-Orient, sont en plein boom, du fait de besoins croissants pour cause de pollution, de pression démographique ou encore de réchauffement.

Selon l'ONU, 1,5 à 2 milliards d'humains vivent aujourd'hui dans des régions où l'eau se fait rare et où la ressource manque au moins durant une partie de l'année.

Et le dérèglement du climat promet d'aggraver la situation : à chaque degré supplémentaire gagné, un demi-milliard de personnes perdront 20% de leur eau douce, selon les scientifiques du Giec.

"Dilemme saumâtre !", soupirent les chercheurs, en mesurant l'impact de la désalinisation et appelant à développer des stratégies pour gérer ce processus industriel.

- Cinq fois plus d'usines -

Ainsi vont nombre de solutions proposées à la crise écologique, rattrapées par leurs effets pervers : biocarburants qui grignotent les forêts, énergies renouvelables gourmandes en métaux critiques, etc.

"La désalinisation a profité à beaucoup de monde. En même temps on ne peut ignorer la production de saumure, qui va devenir encore plus problématique à l'avenir", souligne Manzoor Qadir, directeur-adjoint de l'Institut pour l'eau, la santé et l'environnement de l'Université des Nations unies au Canada.

"Nous devons produire moins de saumure que d'eau claire, et gérer cette" pollution différemment, dit-il. "Le secteur typiquement vous dira que le ratio c'est 1-1 (1 litre de saumure pour un litre d'eau produite), mais quand nous avons fait les calculs..."

Aujourd'hui, 55% de cette boue saline vient de quatre pays : Arabie saoudite (22%), Emirats arabes unis (20,2%), Koweit (6,6%), Qatar (5,8%). Ceux-ci utilisent un procédé thermique (par évaporation de l'eau de mer) émettant quatre fois plus de rejets que le procédé par "osmose inverse" (plus récent).

D'ici 2025, quelque 17.500 usines de désalinisation devraient fonctionner dans le monde (elles étaient environ 3.000 en 1990).

L'étude portée par l'ONU souligne l'apport potentiel de la saumure dans l'aquaculture, mais aussi la production d'électricité. Le sel ainsi que certains métaux et minéraux (magnésium, gypse, calcium, potassium, brome, lithium...) pourraient en être extraits, notamment via des technologies innovantes, encore balbutiantes.

"Il faut concrétiser ce genre de recherches et transformer un problème environnemental en opportunité économique", souligne Manzoor Qadir, citant l'exemple du recours à la saumure dans la culture de spiruline, une algue riche en protéines utilisée comme complément alimentaire.

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