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A Météo-France, les prévisionnistes à l'heure du changement climatique

Il y a une dizaine d'années encore, climatologue et prévisionniste étaient deux métiers "très distincts". Mais depuis que les scientifiques lient certains événements extrêmes au dérèglement climatique, la frontière s'amincit et les météorologues doivent s'adapter à des situations inédites.

Les premiers étudient le temps passé, les seconds s'intéressent au temps présent et à venir.

A Toulouse, où sont rassemblés les principaux services techniques de Météo-France, Philippe Arbogast gère une équipe d'une centaine de personnes qui se relaient tous les jours de l'année, 24H/24.

"Depuis quelques années, la climatologie est entrée en salle de prévision et les interactions sont extrêmement fortes", affirme à l'AFP ce responsable de la prévision générale, entré à Météo-France en 1985.

Lors des épisodes caniculaires de l'été 2019, les climatologues ont ainsi "fait partie intégrante de la cellule de crise".

Car aujourd'hui, "dans le cas d'un évènement intense, on ne peut plus se contenter de l'annoncer, on nous demande systématiquement de le positionner par rapport à d'autres évènements" pour mieux documenter les évolutions climatiques, explique M. Arbogast.

Affecté aux prévisions régionales, Pascal Boureau rédige tous les mois des bulletins climatiques incluant notamment les moyennes des températures pour les comparer aux normales saisonnières, une tâche anciennement réservée aux climatologues.

- Nouveaux critères? -

En 30 ans de carrière, M. Boureau a été un témoin de premier plan des phénomènes extrêmes: "par exemple, des pluies dans l'heure avec 50 L/m3 deviennent presque monnaie courante, alors qu'il y a 15 ans ça arrivait plutôt dans des zones tropicales".

Conséquence de cette augmentation de la fréquence d'évènements violents, la question de la vulnérabilité des populations est devenue une priorité, au cœur de l'un des "produits phare" de Météo-France: le système de vigilance mis en place à la suite des deux tempêtes meurtrières de 1999.

"Avant, il existait seulement un système de bulletin texte destiné à la sécurité civile. Depuis 2001, les données des prévisionnistes sont diffusées au grand public, avec des graphiques", explique Bruno Gillet-Chaulet, chef prévisionniste à Météo-France.

Aux paramètres initiaux "vent", "neige", "orage" et "pluie", ce sont rajoutés au fil des années de nouveaux critères, comme "grand froid" ou "vague submersion".

"Le paramètre canicule a, lui, été intégré après la vague d'intense chaleur de 2003, qui était à l'époque une sorte d'ovni dans le climat qu'on connaissait", précise ce prévisionniste.

Maintenant "à chaque fois qu'on est sur des épisodes extrêmes, on est à la limite de ce que l'on sait faire, car pour prévoir un événement inédit, on est dans l'inconnu", confie-t-il.

"Par contre, la vigilance grand froid, on ne l'a pas beaucoup utilisée ces derniers temps", s'amuse son homologue, Bernard Roulet.

"Ces critères ont été conçus pour les années 1990-2000. Il va peut-être falloir réfléchir à les changer", estime-t-il.

- Pression médiatique -

Parfois confrontés à des critiques sur la fréquence d'utilisation de la vigilance orange et rouge, les prévisionnistes mettent en avant le principe de précaution. Les 92 morts de la tempête de 1999 ou les 15.000 décès de la canicule de 2003 ont marqué les esprits.

"Si on ne prend pas des mesures quelques fois +à tort+, il y aura des fois où on va se louper", avance M. Gillet-Chaulet.

"C'est vrai qu'on a tendance à mettre le curseur un peu haut", reconnaît M. Boureau, relevant que les "pouvoirs publics ne veulent pas qu'on passe à côté de quelque chose".

Pour lui, ce qui a vraiment changé au cours des dernières années, ce sont les sollicitations médiatiques.

"Les prévisionnistes étaient habitués à travailler un peu dans leur tour d'ivoire, alors qu'aujourd'hui il faut avoir une réactivité de tous les instants, pour pouvoir apporter des explications", dit-il.

"Certains collègues ont du mal à accepter de répondre à brûle-point" à la demande des médias, eux-même reflet de l'éco-anxiété, ajoute M. Boureau.

Au sein même de Météo-France, les employés ont développé "une vraie prise de conscience" écologique, selon lui. Il en veut pour preuve l'engagement de "beaucoup" de météorologues dans des associations environnementales, ou leur choix de placements verts.

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