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A Sakhaline, le pétrole chasse le poisson et menace le peuple des Nivkhs

"Chaque année il y a de moins en moins de poissons", se lamente Piotr Popka, le jeune père de la seule famille vivant dans le hameau de Veni: l'arrivée des majors pétrolières sur l'île russe de Sakhaline menace le mode de vie ancestral des Nivkhs, un peuple indigène.

Il ne reste plus que 2.500 Nivkhs sur ce territoire riche en hydrocarbures dans l'Extrême orient russe, et ils ne sont plus que quelques dizaines à encore parler leur langue et ses divers dialectes.

"Les problèmes ont commencé avec le début des opérations de forage" pétrolier, raconte M. Popka à son retour en motoneige de la baie Nyïski où il est allé pêcher sur la glace de cette anse de la mer d'Okhotsk.

Les réserves de poissons, essentielles au maintien des traditions des Nivkhs, sont en "déclin" depuis la mise en service des projets offshore, renchérit Alexeï Limanzo, directeur de l'Union des peuples indigènes de Sakhaline, une organisation locale qui défend activement la culture nivkhe.

Habitué au climat rigoureux de Sakhaline, une vaste île au nord du Japon, ce peuple a survécu à l'ère soviétique, bien qu'il ait été contraint de créer des fermes collectives et d'apprendre le russe.

Mais désormais c'est le capitalisme qui change leurs vies. Des milliards de dollars ont été investis dans des projets pétroliers et gaziers depuis 1990 au large de l'île russe, sous la direction des groupes pétroliers Shell et Exxon, menaçant les pratiques et les ressources des groupes indigènes.

"Les activités d'aujourd'hui sont plus nocives pour l'environnement et les ressources biologiques, en dépit de ce qu'on nous raconte sur l'utilisation de technologies modernes", souligne M. Limanzo.

Les Nivkhs affirment qu'ils ne peuvent plus pêcher et chasser autant qu'auparavant. En conséquence, les ingrédients pour leurs plats traditionnels comme le "mos", concocté à partir de peau de poisson, de fruits des bois et de foie de phoque, se font rares.

"Notre plat national est devenu un mets que nous ne mangeons plus que deux ou trois fois par an", confie Lioubov Sadgoun, une Nivkhe qui enseigne l'anglais à Nogliki, une ville au nord de l'île.

En 2006, le consortium Sakhalin Energy, qui réalise un important projet de forage près des terres des Nivkhs, s'était engagé à verser une aide de 1,5 million de dollars (1,17 million d'euros) au peuple indigène.

Le consortium -- dont Shell détenait alors la majorité des parts désormais aux mains du géant russe Gazprom -- avait accordé cette somme après une série de manifestations en 2005.

"Nous avons de la chance ici à Sakhaline d'avoir affaire à des multinationales qui doivent faire face à l'opinion publique occidentale et qui causeraient du tort à leur image si elles agissaient contre les peuples indigènes", ajoute M. Limanzo, dont le syndicat avait mené les protestations.

Mais la forte baisse des réserves de poissons inquiète malgré tout Lidia Mouvtchik, une femme de 68 ans qui est l'une des rares à encore parler la langue nivkhe.

"Nous sommes habitués à vivre dans la taïga, à la périphérie de forêts, de rivières et de la mer", dit-elle assise à côté du fourneau de sa maison. "C'est tout ce que nous voulons. S'il n'y avait plus de poissons, nous mourrions", lâche-t-elle.

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