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Arrêté anti-pesticides: un maire jugé à Rennes pour avoir voulu "protéger" ses habitants

Un maire peut-il se substituer temporairement à l’État pour protéger la santé de ses habitants? La question était posée jeudi à Rennes devant la justice par le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), qui a interdit l'usage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations.

"Maire courage", "Mme la Préfète, Laissez nos maires nous protéger", "Pesticides, herbicides, fongicides... Quel que soit leur nom c'est pour nos poumons". A l'instar des nombreuses banderoles, entre 700 et plus de 1.000 sympathisants, habitants de la région, élus, membres d'organisations écologistes ou politiques, d'Extinction Rebellion, adolescents de Leaukaterre etc, étaient venus soutenir Daniel Cueff devant le tribunal administratif de Rennes.

L'élu écologiste sans étiquette comparaissait pour avoir pris, le 18 mai, un arrêté interdisant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques "à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d'habitation ou professionnel".

Mais la préfecture réclame sa suspension en référé, au motif qu'un maire n'est pas compétent pour prendre des décisions sur l'utilisation de produits phytosanitaires, y compris au nom du principe de précaution, un pouvoir réservé à l’État.

"C'est quoi le pouvoir d'un maire? Un maire peut-il ignorer la santé de ses habitants?", a lancé Daniel Cueff devant le juge, rappelant qu'il n'a pas interdit les pesticides, mais instauré "une distance d'éloignement des pesticides sur une parcelle qui reste cultivable avec des produits moins dangereux".

L'élu, qui revendique la légalité de son arrêté et a adressé un mémoire de 300 pages au tribunal, rappelle qu'un règlement européen oblige depuis 2009 les États à protéger leurs habitants de l'épandage de pesticides, et que le Conseil d’État a partiellement annulé en juin un arrêté réglementant l'utilisation de pesticides, au motif qu'il ne protégeait pas suffisamment la santé des riverains.

- "sens de l'histoire" -

Sur le plan politique, l'édile a appelé le juge à préserver un arrêté qui "va dans le sens de l'histoire", disant avoir reçu des "dizaines de milliers de messages" de soutien, un mouvement de fond selon lui "sans précédent", avec une population ultra-sensibilisée, et des enfants de six ans "chez qui l'on retrouve des taux de glyphosate 30 fois supérieurs au seuil autorisé dans l'eau potable".

Outre l'incompétence du maire, les représentants de l'État ont plaidé l'absence de "circonstances locales particulières et de péril imminent" qui justifieraient sa décision, assurant que la loi Egalim prévoit à partir du 1er janvier 2020 l'introduction de mesures spécifiques.

"Depuis 15 ans, l’État dit qu'il va faire mais il ne fait pas. Est-ce qu'il faut qu'on aille dans le mur pour se réveiller ?", a rétorqué Me Arnaud Delomel, avocat du maire.

La décision du tribunal sera connue en début de semaine prochaine.

A sa sortie, Daniel Cueff a été acclamé par un tonnerre d'applaudissements.

Parmi les soutiens historiques, Charlie Hebdo, dont l'appel "Nous voulons des coquelicots", lancé en septembre 2018 pour l'interdiction des pesticides de synthèse, a recueilli plus de 800.000 signatures.

"Les pesticides, ce n'est pas simplement quand on passe dans un champ, on les subit, on en mange, on en respire", a déclaré le rédacteur en chef Gérard Biard.

"On marche sur la tête: au moment où tout le monde reconnaît que les pesticides contaminent nos organismes, l’État défend le pire des modèles agricoles", a estimé Yannick Jadot, chef de file d'EELV, sur BFMTV et RMC.

"L'utopie serait que le tribunal valide l'arrêté. Aujourd'hui, la meilleure des choses c'est que le débat soit porté sur la place publique et que la ministre annonce des mesures", souligne Véronique, habitante de Langouët et "pisseuse volontaire".

L'association Eau et Rivières de Bretagne a rendu publics jeudi des documents montrant que les ministères de la Santé et de l'Environnement, qui souhaitaient en 2016 voir instaurées des "zones non traitées" autour des habitations, ont perdu leur arbitrage face au ministère de l'Agriculture.

Environ 20 maires en France ont pris à ce jour des arrêtés limitant ou interdisant les pesticides.

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