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Au Cap, des inquiétudes longues comme un jour sans eau

Dans le centre pour enfants et personnes âgées de Nazareth House au Cap, la distribution de l'eau obéit à une discipline toute militaire. Heure, quantité, nom, la ration de chacun de ses pensionnaires est consignée sur un grand tableau blanc.

"Nous remplissons tant de bouteilles d'eau chaque jour, c'est très grand ici", explique Carmilla Slamdien, une des employées de cet établissement qui accueille des dizaines de malades, orphelins ou handicapés. "Et avant chaque patient, il faut se laver les mains".

A Nazareth House, le scénario catastrophe d'une coupure des robinets de la deuxième ville d'Afrique du Sud pour cause de sécheresse historique provoque des sueurs froides.

"Est-ce que nous avons une solution ? Non. Je n'ose même pas imaginer comment nous allons faire après le +Jour zéro+", soupire Mme Slamdien.

Depuis des semaines, ce "Jour zéro" nourrit toutes les craintes.

Sa date se promène sur le calendrier au gré des efforts accomplis par les Captoniens pour limiter leur consommation d'eau. Un temps fixé à la mi-avril, il vient juste d'être repoussé d'un mois. Mais il reste pour l'heure inévitable.

Une grande majorité des 4 millions d'habitants de l'agglomération seraient alors contraints de se ravitailler à des points d'eau, sûrement sous la protection de policiers ou de soldats en armes, pour récupérer leurs 25 litres d'eau quotidiens.

Une perspective qui inquiète une ergothérapeute de Nazareth House, Zone Janse Van Rensburg, 31 ans et enceinte.

- 'Bébé sans eau' -

"Je vais avoir un nouveau-né et pas d'eau, ça va être très compliqué", anticipe-t-elle. "Je ne sais pas ce que je vais faire (...) quand vous êtes enceinte, ils vous disent +ne soulevez rien de lourd+. Il va pourtant bien falloir que je soulève mon seau d'eau pour rincer mes toilettes !"

Les autorités locales ont promis que les services "économiquement vitaux", comme Nazareth House, seront épargnés par les coupures ou approvisionnés spécialement. L'impact sera plus lourd sur les logements privés: trois-quarts seront placés au régime sec.

S'il en est un qui ne s'effraie pas d'être bientôt privé d'eau à son robinet, c'est bien Vuyo Twani. Il n'en a pas.

Dans son quartier de Langa, l'eau courante est plus qu'un luxe. Un rêve. Tous les jours, Vuyo Twani vient remplir ses bidons ou rincer sa serpillière à un des trois robinets mis à la disposition des centaines d'habitants du township.

Les fontaines des quartiers pauvres devraient être elles aussi épargnées par les restrictions, a assuré la municipalité.

Vuyo Twani n'en est pas convaincu. "Je ne sais pas si on va continuer à avoir de l'eau ici", lâche-t-il, fataliste, "s'il n'y en a plus, j'irai au supermarché".

Chaque jour, raconte ce barman d'un hôtel cinq étoiles du centre ville, lui, son épouse et leur fille n'utilisent pas plus de 10 litres d'eau.

Une goutte dans l'océan englouti par les habitants des quartiers riches du Cap qui, selon les autorités, absorbent à eux seuls les deux-tiers de la consommation de l'agglomération.

"Ces gens-là ont l'habitude de prendre une douche et de se laver les dents en se levant", note Vuyo Twani. "Quand on lave les shakers à cocktails, ils nous disent +économisez l'eau !+", ajoute-t-il en égratignant les clients de l'hôtel où il travaille.

- 'Conflits' -

A une heure et demi de route du centre du Cap, le barrage de Theewaterskloof rappelle à tous ceux qui se refusent encore à y croire que la sécheresse est une réalité très menaçante.

Ce qui était auparavant un lac n'est plus aujourd'hui qu'un terrain vague boueux au sol zébré de fissures creusées par le soleil.

Ses réserves n'atteignent plus que 12,5% de leur niveau normal. Si elles chutaient sous la barre des 10%, l'eau restante serait impropre à la consommation, ont prévenu les experts.

Sans même attendre le "Jour zéro", de nombreux habitants du Cap ont déjà pris l'habitude de se ravitailler à la source de Newlands, pour ne pas dépasser la limite de 50 litres par jour et par personne tirés du robinet "suggérée" par les autorités.

La source a été récemment le théâtre d'incidents entre consommateurs qui ont contraint les autorités à y déployer des agents de sécurité privés pour y faire respecter l'ordre.

Ce jour-là, des femmes en robes chics se pressent, jerrycan à la main, dans la même colonne que des ouvriers agricoles et des familles avec enfants en uniforme d'écolier.

Ce calme pourrait rapidement voler en éclats au "Jour zéro", redoute toutefois Fairuz Mullagee.

"Tout cela ne concerne pas que l'eau, ça pose la question des conséquences sociales d'une rupture de l'accès à une ressource", poursuit cette chercheuse de 56 ans. "Ca va exacerber les inégalités et créer des conflits. Nous avons déjà connu ça ici...", lâche-t-elle en référence aux heures sombres de l'apartheid.

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