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Au Pakistan, les vaccinateurs anti-polio face à la rumeur et à la violence

A Islamabad, des équipes encadrées par des policiers en armes peinent à vacciner les enfants contre la poliomyélite après une semaine sanglante pour les vaccinateurs du Pakistan, victimes de nouvelles rumeurs et d'une suspicion bien ancrée.

Dans un bidonville de la capitale, des parents bercent leurs bambins en pleurs tandis que des agents de santé venus vendredi leur administrent des gouttes de vaccin dans la bouche. Des voisins se pressent autour d'eux, pendant que la police surveille les lieux.

De l'autre côté de la ville, dans un immeuble cossu, un agent de santé parlemente de longues minutes pour convaincre des parents qui refusent de faire vacciner leurs enfants. Il finit par y parvenir, quand nombre de ses collègues, ailleurs, repartent vaincus.

"Certaines personnes se comportent mal. Elles nous claquent la porte au nez. Elles ne veulent pas nous écouter", se lamente Nazia Khalil, une vaccinatrice. "Les gens ont peur depuis l'incident de Peshawar."

Lundi, dans trois écoles proches de cette ville du nord-ouest du pays, des élèves se sont plaints de réactions au vaccin anti-polio. Bien qu'aucune maladie ne leur ait finalement été diagnostiquée, un mouvement de panique s'est emparé de la zone.

Des dizaines de milliers d'enfants ont été transportés d'urgence dans plusieurs hôpitaux. Un centre de santé a été incendié.

Les autorités, dans un rapport, ont nié tout "incident médical", "aucun enfant n'ayant été gardé (à l'hôpital) durant la nuit", et ont imputé la panique à un "complot planifié à l'avance".

Mais les conséquences sur le terrain sont alarmantes. A Islamabad, 10.000 refus de vaccination sont désormais recensés chaque jour, contre 200 à 300 auparavant sur toute la durée d'une campagne, regrette Mohammad Asif Rahim, un cadre de la lutte anti-polio d'Islamabad.

Pire, une agente de santé et deux policiers encadrant des équipes anti-polio ont été abattus cette semaine. Des meurtres qui renvoient aux heures les plus sombres de la lutte contre cette maladie contagieuse qui a entraîné la mort de plus de 100 personnes depuis décembre 2012.

Des dizaines de vaccinateurs ont également été battus ou harcelés depuis l'incident, selon des responsables.

- "Fausse propagande" -

La poliomyélite n'est endémique que dans trois pays au monde : le Pakistan, l'Afghanistan et le Nigeria, une souche assez rare du virus ayant aussi été récemment détectée en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Mais le vaccin qui permet de l'éradiquer se heurte à une suspicion persistante au Pakistan. L'organisation d'une fausse campagne de vaccination par la CIA (les services de renseignement américains) pour retrouver le chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden, tué en 2011 à Abbottabad (nord-ouest), a provoqué des résistances.

Certains talibans et des religieux ultra-conservateurs font aussi courir la rumeur que les vaccins contiennent des ingrédients interdits par l'islam, comme du porc, ou qu'ils causent l'infertilité, dans le cadre d'un complot visant à réduire la population.

Alors que le Pakistan, à force de campagnes de vaccination massives couvrant des dizaines de millions d'enfants, s'approchait malgré tout de l'éradication de la poliomyélite, le mouvement anti-vaccins a touché le pays.

Ce phénomène alimenté par des allégations sans fondement médical, qui a proliféré sur internet, a entraîné une résurgence de maladies autrefois éradiquées et hautement contagieuses aux quatre coins du monde.

Ces derniers mois, les réseaux sociaux pakistanais ont ainsi été inondés de reportages et de vidéos falsifiés, vus des centaines de milliers de fois, notamment depuis l'incident de Peshawar.

"Ce qui nous dérange, c'est la propagande fausse ou négative" en ligne, s'inquiète Mohammad Asif Rahim.

La désinformation avait déjà fait tripler le nombre de refus de vaccination, passés de 40.000 en 2017 à 125.000 en 2018, observe Rana Safdar, de l'Institut national de la santé du Pakistan.

"Ici, les gens ont peu de connaissances, alors s'ils voient un professeur des Etats-Unis ou d'ailleurs qui est contre le vaccin, ils sont facilement convaincus", remarque-t-il.

Le nombre de cas de polio s'en est ressenti. Alors qu'il avait chuté de 306 en 2014 à 8 en 2017, il est remonté à 12 l'an dernier, selon l'Organisation mondiale de la santé. Huit cas positifs ont déjà été recensés sur cette année.

"Il y a aujourd'hui un rebond" de la maladie, déplore Rana Safdar. "Nous devons retrouver notre élan."

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