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Bioéthique: une loi déjà en retard sur la science?

Plusieurs techniques médicales déjà utilisées dans d'autres pays restent interdites par la future loi de bioéthique, dont la discussion à l'Assemblée nationale débute mardi, faisant craindre à certains députés et chercheurs que la France "rate le coche d'avancées médicales" importantes.

- Analyser les chromosomes d'un embryon avant de l'implanter

Courante dans d'autres pays comme les Etats-Unis, cette technique consiste, dans le cadre d'une procréation médicalement assistée (PMA), à vérifier qu'un embryon ne présente pas d'anomalie chromosomique avant de l'implanter, afin d'augmenter ses chances de succès.

Les anomalies chromosomiques sont en effet souvent responsables de fausses couches spontanées en début de grossesse.

Aujourd'hui, "les résultats de la fécondation in vitro ne sont pas véritablement à la hauteur de nos espoirs", déplore le spécialiste de la reproduction René Frydman, interrogé par l'AFP, évoquant un taux de 60% d'échec, que l'on pourrait réduire en utilisant cette technique.

Mais pour la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, il est trop tôt pour généraliser ce type de technique, qui ferait franchir le pas d'un tri des embryons.

"Ca se fait dans le cadre de programmes de recherche, qui interrogent l'impact (des anomalies chromosomiques) sur les questions de fertilité", a-t-elle souligné au cours d'un entretien accordé à l'AFP.

- Eviter de transmettre une maladie grave à ses enfants

Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) est actuellement réservé aux couples ayant déjà eu un enfant gravement malade ou décédé en raison d'une maladie génétique (mucoviscidose, myopathie, cancer lié à un facteur génétique...).

Il permet de sélectionner des embryons non porteurs de cette mutation - et seulement celle-là - pour éviter la naissance d'un deuxième enfant atteint.

Pour le généticien Pascal Pujol, comment justifier qu'on ne puisse pas, au même moment, dépister une trisomie, alors que le couple sera autorisé à le faire dès le début de la grossesse, dans le cadre du diagnostic prénatal?

Si le projet de loi ne le prévoit pas pour le moment, Frédérique Vidal a laissé entrevoir une ouverture sur ce point, expliquant que "la réponse sera issue du débat au Parlement".

Le Pr Pujol souhaiterait aussi qu'on puisse élargir les indications des tests pré-conceptionnels, citant la mucoviscidose ou l'amyotrophie spinale, des maladies génétiques mais pour lesquelles il n'existe "aucun antécédent familial dans plus de 90% des cas".

"Il y a une confusion qui s'opère" lorsque les ministres évoquent un risque de "dérive eugénique", déclare-t-il, estimant que réserver ce dépistage aux gènes clairement identifiés et aux "maladies graves et incurables" constituerait un "garde-fou" suffisant.

Mais "qu'est-ce que c'est qu'une maladie incurable?", insiste Frédérique Vidal, pointant que celles qui le sont aujourd'hui ne le seront plus forcément "dans trois ans".

- Savoir si l'on a un risque élevé de développer un cancer

Les tests génétiques pour établir des liens biologiques sont strictement interdits en France, hors injonction judiciaire, tout comme ceux pour connaître ses origines "ethniques". Quant à ceux destinés à établir des prédispositions à certaines maladies, ils sont extrêmement encadrés.

Ainsi, la recherche du gène BRCA, qui touche une femme sur 200 et entraîne une probabilité très élevée de développer un cancer du sein ou de l'ovaire, est réservée aux femmes ayant des antécédents familiaux précis.

Faut-il continuer à interdire ces tests aux autres personnes désireuses de "savoir" si elles présentent un risque accru de maladie?

"On est dans un monde où on peut se faire séquencer son génome entier (...) sur internet" alors que "c'est strictement interdit par la loi", observait Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), lors des auditions sur le projet de loi à l'Assemblée.

Déplorant cette intransigeance "à la française", avec une interdiction que l'on est "incapable de faire respecter", il rappelle que le CCNE avait préconisé dans son rapport il y a un an "une possibilité d'ouverture (...) dans un contexte médicalisé et de conseil génétique."

Une position partagée par Pascal Pujol, qui alerte aussi sur le manque de fiabilité des tests proposés sur internet.

"On veut protéger les personnes, mais on risque qu'il se passe le contraire", a-t-il expliqué à l'AFP.

Ces sites posent aussi la question du stockage à l'étranger de données aussi sensibles, pointe Arthur Kermalvezen, premier Français né d'une PMA avec don à avoir retrouvé son géniteur grâce à des tests génétiques faits sur un site américain.

"Notre génome va à l'étranger", déplore le créateur de l'association Origines, qualifiant l'attitude des autorités de "puritaine" alors qu'il s'agit "d'informations capitales", notamment pour la recherche.

- Une loi à réviser plus souvent?

Les textes prévoient que la loi de bioéthique soit révisée tous les sept ans. Un délai déjà dépassé par le projet de loi actuel puisqu'avec un vote définitif espéré "avant l'été prochain", cela fera neuf ans depuis la version précédente.

Dans un domaine où les connaissances évoluent très vite, certains pointent le risque d'une loi déjà "périmée" lorsqu'elle sera promulguée et déplorent qu'il faille attendre plusieurs années pour légiférer lorsqu'une innovation apparaît.

Le CCNE préconisait de raccourcir ce délai à cinq ans.

Jean-Louis Touraine (LREM), co-rapporteur du projet de loi, propose aussi de "créer une délégation permanente" à l'Assemblée pour signaler les "nécessités nouvelles" sur les sujets bioéthiques.

Mais d'autres, à commencer par le gouvernement, font valoir que le délai de cinq ans était celui prévu lors de la première loi de bioéthique, en 1994, et qu'il n'a jamais été respecté.

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