Accueil Actu

Coronavirus: la "souveraineté" industrielle française, un cap parfois lointain

Tests de dépistage, respirateurs, masques... La pandémie de coronavirus génère des pénuries d'équipements médicaux essentiels au combat contre la maladie, posant avec acuité la question de la dépendance française à des produits et machines fabriqués à l'étranger.

Tests de dépistage

Fin mars, la France réalisait 12.000 tests quotidiens reposant sur la technique RT-PCR, une méthode d'amplification du matériel génétique du virus. La Corée du Sud ou à l'Allemagne revendiquent 300.000 à 500.000 tests hebdomadaires.

Sur le marché des tests RT-PCR, "il y a "beaucoup de marques allemandes, italiennes, américaines et de moins en moins de boîtes françaises", regrette le docteur Claude Cohen, président du Syndicat des biologistes médicaux français.

Le groupe français bioMérieux développe tout de même trois tests de diagnostic, et le franco-britannique Novacyt a obtenu le feu vert de l'Institut Pasteur pour le test de sa filiale Primerdesign.

La pénurie concerne surtout les réactifs et les écouvillons, des bâtonnets utilisés pour effectuer les prélèvements.

En France, "on avait oublié l'industrie qui les fabriquait (...) C'est une question de délocalisation", déplore le Dr François Blanchecotte, qui préside le Syndicat français des biologistes et souligne la prééminence de firmes asiatiques sur le marché.

Respirateurs

L'allemand Dräger, le suédois Getinge, les américains GE Healthcare et Resmed... le marché des respirateurs ne compte pas de poids lourd français.

"La filière des dispositifs médicaux en France demeure essentiellement composée de PME (93%)", confirme le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales dans son panorama 2019.

Autre handicap, "la complexité et la longueur du process d'inscription d’un dispositif médical", qui pousse "41% des entreprises interrogées" à renoncer à mettre un produit sur le marché", expose Laurence Comte-Arassus, présidente de Medtronic France.

La pandémie de coronavirus a malgré tout incité quatre géants industriels français (Air Liquide, Valeo, PSA et Schneider Electric) à se réunir en consortium pour produire 10.000 respirateurs d'ici mi-mai.

Gel hydroalcoolique

"En temps normal, la France est clairement productrice et exportatrice", essentiellement vers l'Europe, assure à l'AFP Virginie D'Enfert, déléguée générale de l'Association française des industries de la détergence, de l’entretien et des produits d’hygiène industrielle (Afise).

Hors période de crise, le marché des gels hydroalcooliques n'est d'ailleurs "pas énorme", explique-t-elle. La consommation annuelle dans la grande distribution atteint à peine 450.000 litres (pour 11 millions d'euros de chiffre d'affaires), et 4 millions dans les hôpitaux.

Si les commandes de la centaine d'adhérents de l'Afise ont été multipliées entre 8 et 10 fois depuis le début de la pandémie, "aujourd'hui, on n'a pas besoin de faire venir de la marchandise d'ailleurs", certifie Mme D'Enfert.

"Il y a une priorisation sur les services de santé, des magasins qui ont peut-être été moins bien servis et aussi des comportements de stockage", énumère-t-elle pour justifier les pénuries constatées par endroit.

Médicaments

Pour plusieurs médicaments utilisés en réanimation, "les stocks sont limités et les tensions et inquiétudes des soignants réelles", a admis le gouvernement.

Dans l'hôpital de Perpignan où travaille Anne Geffroy-Wernet, "le principal souci c'est les curares, ce qu'on donne aux patients endormis quand on a beaucoup de mal à les oxygéner".

"Ca fait plus de dix ans que la France est dépendante de la Chine, et avant c'était l'Inde", note l'universitaire Mondher Toumi, spécialisé dans la santé publique. "75% des médicaments que nous utilisons sont des génériques, dont la presque totalité est fabriquée en Chine."

Le problème ne se limite pas à l'Hexagone: fin mars, neuf grands hôpitaux européens ont lancé un appel à l'aide face à la pénurie de médicaments pour les patients atteints du Covid-19.

"Il y a dix ans, on était mieux (équipés pour répondre à une pandémie) que maintenant: il y avait encore de la recherche sur les coronavirus, on n'était pas trop loin du Sras" (l'épidémie qui a fait 774 morts essentiellement en Asie en 2002-03)", pense Mme Geffroy-Wernet, présidente du SNPHARE, un syndicat d'anesthésistes-réanimateurs.

Quant au paracétamol, antalgique courant dont la vente a dû être restreinte, la dernière usine fabriquant en France de la poudre de paracétamol a été fermée en 2008 par le groupe Rhodia. En revanche, certaines usines fabriquent toujours en France des médicaments au paracétamol, comme Sanofi à Compiègne ou Upsa à Agen.

Masques

Emmanuel Macron a fixé un objectif de 10 millions de masques fabriqués par semaine d'ici à la fin du mois, contre 3,3 avant la pandémie. Mais la France a besoin de 40 millions par semaine pour le personnel soignant et les établissements pour personnes âgées.

D'où les près de deux milliards de masques commandés à la Chine, le mastodonte du marché, qui s'est targué dimanche d'en avoir vendu près du double à des pays étrangers depuis début mars.

En France, "notre doctrine a évolué depuis une vingtaine d'années", observe le think tank Terra Nova dans une note. "Il ne s'agit plus de faire provision d’équipements de protection individuelle (masques notamment), mais de faire le pari d’un approvisionnement à flux tendu, reposant sur une production étrangère, principalement asiatique."

L'usine bretonne de Plaintel, longtemps seul site de production de masques respiratoires en France, a ainsi fermé dans l'indifférence générale fin 2018.

À lire aussi

Sélectionné pour vous