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Côte d'Ivoire: sculpter dans la forêt pour la protéger

Des sculptures éphémères d'artistes internationaux en pleine forêt tropicale, c'est le pari de la première biennale Green Arts qui a investi le parc national du Banco à Abidjan.

"Déchiffrer la forêt au lieu de la défricher. L'idée, c'est de créer, tout en sensibilisant à la protection de l'environnement", souligne le directeur artistique de l'événement, le célèbre sculpteur ivoirien Jems Koko Bi, qui a joué de ses relations pour attirer pour une résidence de 12 jours des collègues sculpteurs venus de tous les horizons: Sénégal, Canada, Corée du Sud, Namibie, Italie, Pays-Bas...

Parc emblématique de la Côte d'Ivoire, le Banco s'étend sur près de 3.500 hectares au coeur d'Abidjan, à quelques kilomètres à peine du quartier des affaires du Plateau entre les deux grands quartiers populaires de Abobo et Yopougon. "Je voulais que les artistes voient cette forêt et créent leur projet ensuite. Le Banco est particulier. Il joue un rôle vital, il donne l'oxygène à Abidjan. On ne le visite pas beaucoup. La forêt est dense", explique Jems.

"Dans d'autres endroits, en Europe par exemple, on décore la forêt, mais ici on créé une oeuvre pour dire aux gens que nous perdons la forêt, leur dire qu'on peut cohabiter. En fait, ce n'est pas fait pour sauver la forêt mais pour sauver les hommes!", s'enflamme Jems.

"Les arbres, c'est la vie"

Les sculpteurs ont donc accepté une règle du jeu simple: "Ne pas entrer dans le parc avec ce qui n'est pas naturel: pas de fer, pas de ciment... On travaille avec ce qu'on trouve. Et bien sûr interdit de couper", résume le sculpteur suisso-canadien Ernest Daetwyler, qui a construit un énorme bateau avec du bois mort, symbole "du voyage, de l'immigration mais aussi d'un nouveau départ".


©BELGA

"Nous allons ramasser du bois qui est déjà mort mais nous allons lui donner une deuxième vie", assure Clément Gbegno Ayiké, étudiant togolais des Beaux-Arts d’Abidjan, qui a participé au projet du bateau dans lequel peuvent prendre place cinq ou six personnes.

Une dizaine d'autres oeuvres de grande taille ont ainsi vu le jour dans l'arboretum du Banco. Formes géométriques, énormes fagots, assemblages de bouts de bois ou bambous finement découpés et remodelés en tonneaux...

"La forêt a déclenché plein de choses en moi"

"Je travaille beaucoup sur la pollution avec le plastique. Mais là c'est le registre opposé! Dès que je reviens au pays, je vais en brousse. Je me suis rendu compte que j'en avais besoin", assure le peintre sénégalais Soly Cissé. Il a créé plusieurs oeuvres dont "La chose", une sorte "d'homme-oiseau qui jaillit du sol, qui éclot comme une graine", explique-il, tout en désignant une sculpture verticale avec une sorte de tumulus à son pied. "La forêt, les arbres c'est la vie. La verticalité c'est la vie, l'horizontalité la mort. On doit protéger nos forêts comme les guerriers zoulous!".

"Un poumon"

Le Sénégalais apprécie aussi l'interdisciplinarité du vernissage dimanche avec des happenings, un conteur, des chanteurs, des danseurs, du slam... qui ont joué devant et avec les œuvres.

Sonia Zain, scénariste ivoirienne, venue assister au vernissage, "aime l'idée d'une exposition dans la nature avec des éléments de la nature qui n'ont pas été corrompus". "Le Banco est un poumon. Il faudrait s'atteler à le protéger quitte à l'agrandir plutôt que le contraire", dit-elle en évoquant l'amputation de 25 hectares dans les années qui viennent pour permettre la construction d'un train urbain.

Un peu plus loin, la Namibienne Imke Rust a monté une sorte de grand nid, un "cercle de vie", énorme nid formé de grandes branches avec à ses côtés les "7 portes aux serpents de pluie": elle a créé des embrasures de portes avec des branches et posée sur les montants des branches en forme de serpent en blanc tacheté de noir.


©BELGA

"Je me suis remplie le coeur de vert", assure l'artiste qui est plus habituée à la sécheresse des déserts d'Afrique australe. Hasard ou magie des serpents de pluie: un important orage a perturbé le vernissage, faisant fuir la plus grande partie des visiteurs... Les oeuvres ont subi les premiers assauts de la nature. Elles vont disparaître petit à petit dans les mois ou années qui viennent, selon l'esprit de la Biennale.

"Ce n'est pas la mort, c'est l'évolution", conclut Jems.

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