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Covid: dans les cités de Marseille, la vaccination à l'épreuve de la précarité

Dans les quartiers deshérités de Marseille, où manquent transports en commun, emplois et médecins, le taux de vaccination contre le Covid est largement inférieur à la moyenne. Patiemment, une association tente de rassurer ces habitants, dont les liens avec les institutions sont abîmés.

Dans une cité HLM de l'Estaque, à une dizaine de kilomètres du centre-ville, au bord de l'autoroute, Yasmine Cherfi, médiatrice de l'association Sept qui oeuvre contre les inégalités d'accès aux soins, frappe à la porte de l'appartement de Rachida.

Cette pudique mère de famille de 56 ans, qui préfère taire son nom de famille par peur des polémiques, n'est pas vaccinée, bien que consciente du danger que représente le coronavirus qui a tué son père en Algérie.

Tétanisée par la peur d'être contaminée par ce virus qui a tué plus de 5,5 millions de personnes dans le monde, selon un bilan établi par l'AFP, Rachida a choisi de rester enfermée chez elle. Lors des rares sorties de son appartement impeccable, où trône dès l'entrée un flacon de gel hydroalcoolique, elle dit appliquer les gestes barrière avec zèle.

Aujourd'hui, à force de discussions avec Yasmine, la quinquagénaire, atteinte d'une maladie chronique, a finalement changé d'avis. Avec sa fille de 12 ans, elle a pris rendez-vous pour recevoir sa première dose de vaccin dans quelques jours.

"Yasmine a su trouver les mots, et surtout prendre le temps de m'expliquer. Mon médecin, lui, était toujours pressé et me disait qu'il y avait +des effets secondaires, comme pour tout+", raconte-t-elle, dans un français élémentaire.

"J'ai eu peur, et je ne savais pas quel vaccin choisir", poursuit-elle de sa voix douce. Submergée par le trop plein d'informations, parfois contradictoires, la mère de famille ne comprenait pas les "mots techniques" des médecins. Résultat: elle préférait ne "pas prendre de décision plutôt que la mauvaise".

- "Un travail de fourmi" -

Dans les quartiers paupérisés et isolés de Marseille, les habitants sont nombreux, comme Rachida, à n'avoir reçu aucune dose de vaccin, qui pourtant permet d'éviter les formes graves de la maladie. Au 13 janvier, 86% des malades du Covid en réanimation dans les hôpitaux marseillais n'étaient pas vaccinés.

Dans la deuxième ville de France, à peine 60% des 860.000 habitants ont déjà eu deux doses. Pire, dans les quatre arrondissements les plus populaires, moins de la moitié ont reçu au moins deux injections, soit 30 points en dessous de la moyenne nationale, selon les chiffres de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille fin décembre.

Une situation que l'association Sept, qui regroupe médecins généralistes, infirmiers et médiateurs, combat porte à porte, avec le soutien de l'Agence régionale de santé.

Lors de sa tournée, beaucoup rétorquent à Yasmine, laconiques, qu'ils ne changeront pas d'avis. Qu'importe, la quinquagénaire tente d'entamer la discussion et laisse à minima du gel désinfectant, des masques et des auto-tests, avec les coordonnées de l'association, leur rappelant au passage le centre de vaccination le plus proche. Et quand le déplacement n'est pas possible, elle propose une vaccination à domicile.

"C'est un travail de fourmi, il faut surtout ne pas les juger, mais expliquer, répéter et écouter", résume la médiatrice, que l'on retrouve quelques jours plus tard à Septèmes-les-Vallons, dans une cité de cette commune populaire jouxtant Marseille, un autre de ces quartiers en déficit de médecins.

Devant l'entrée du centre social, Riad Boukhiane, 37 ans, hésite, regarde les "collègues" défiler dans la salle d'attente, avant de se décider à sauter le pas, à quelques minutes de la fermeture: "Ca a été une réflexion de plus de trois semaines avec Yasmine, explique-t-il. Je n'étais pas anti-vaccin, mais il fallait utiliser les mots pour me rassurer, que j'ai confiance".

- La santé, dernière préoccupation -

"Ce ne sont pas des gens politisés, qui vont manifester contre le pass sanitaire ou le vaccin. Ils sont plutôt en attente de la bonne information. La nature ayant horreur du vide, ils ont peut-être une information, mais pas la bonne", analyse Yazid Attalah, président de Sept, pointant les conséquences des déserts médicaux.

"Pour ces personnes, la santé se classe en troisième ou quatrième position de leurs préoccupations: leur quotidien, c'est trouver de quoi payer le loyer, un travail, pour certains à manger, s'occuper des enfants...", poursuit le médecin.

Dans ces quartiers délaissés depuis des années, "la pauvreté s'est concentrée toujours aux mêmes endroits", avait constaté Emmanuel Macron lors de sa visite début septembre. Le chef de l'Etat avait déploré un "réseau de soins de proximité défaillant", qui isole encore un peu plus ces cités enclavées.

"Cette offre de proximité est essentielle", insiste Olivier Gauché, infirmier de l'AP-HM et responsable du centre de vaccination des Aygalades, un quartier du nord de Marseille, devant une salle d'attente remplie: "Il existe un grand centre de vaccination à quatre kilomètres d'ici, mais pour des personnes âgées, sans véhicule ni moyens de transport, c'est trop loin".

C'est aux Aygalades que Paul Liotardo, 90 ans, s'est décidé en octobre à recevoir sa première dose, après moult atermoiements, craignant que ses médicaments pour le coeur n'interfèrent avec le vaccin. "Quand j'ai su que ce centre à côté de chez moi était ouvert sans rendez-vous, je me suis précipitée pour l'emmener avant qu'il ne change d'avis", raconte sa fille, qui l'accompagne pour sa dose de rappel, en ce jour de janvier, soulagée après avoir échoué à prendre rendez-vous par internet.

Interrogé par l'AFP, le maire socialiste Benoît Payan a annoncé l'installation "d'un poste itinérant de sensibilisation et de vaccination, chaque semaine, dans un quartier différent".

Depuis mars 2021, l'association Sept a vacciné plus de 4.000 habitants des quartiers enclavés et orienté 3.000 autres vers des centres de vaccinations.

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