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En Ukraine, le chemin de croix d'un extravagant musée de l'espace

Dans cette église orthodoxe centenaire, les visiteurs se recueillent non pas devant des icônes mais devant une combinaison spatiale ou un casque de Iouri Gagarine, exemples parmi d'autres des pièces d'un extravagant musée de l'espace en Ukraine.

Vestige d'une époque où la conquête spatiale faisait quasiment figure de religion pour les Soviétiques, ce musée installé dans le centre de l'Ukraine survit tant bien que mal en dépit des convoitises d'Eglises rivales et du manque de moyens.

Vue de l'extérieur, la bâtisse en bois n'a rien d'extraordinaire avec sa coupole couronnée d'une croix dorée et ses murs peints en bleu et gris.

A l'intérieur, l'église Sainte-Parascève abrite plus de 450 pièces d'exposition: du matériel technique dont une astromobile; des objets personnels dont un casque et un parachute du Soviétique Iouri Gagarine, premier homme envoyé dans l'espace en 1961; et notamment une collection de portraits de Gagarine où celui-ci arbore le large sourire qui a fait de lui une icône parmi les cosmonautes de l'époque soviétique.

Ce musée fait partie d'un complexe ethnographique en plein air à Pereyaslav-Khmelnytsky, petite ville au riche passé historique située à 80 kilomètres au sud-est de Kiev.

Il a été fondé dans les années 1970 dans un contexte de politique antireligieuse menée par l'URSS et qui a abouti à des milliers de destructions d'églises ou de transformations en locaux utilitaires.

"Les vols dans l'espace étaient alors follement populaires et chaque petit garçon rêvait de devenir cosmonaute", ajoute Sergui Volkodav, son jeune responsable scientifique, devant une combinaison spatiale.

- Grenier à blé -

Selon lui, le choix du lieu s'est imposé pour des raisons terre à terre: il permet d'exposer des pièces volumineuses, comme un modèle de fusée long de plusieurs mètres.

Les habitants racontent que cette reconversion a permis de sauver cette église bâtie en 1891 non de la politique antireligieuse de l'URSS mais aussi de l'engloutissement: le village voisin où était située l'église à l'origine s'est trouvé sous les eaux à la suite de la construction dans les années 1950 et 1960 d'un réservoir d'eau vaste comme le Luxembourg. Promise à devenir un musée, l'église - comme quelques autres bâtiments - a été déplacée, mais le reste de la localité a disparu.

Né dans ce village rayé de la carte, Borys Stoliarenko, un mécanicien de 60 ans, n'en conserve aucune photo ou tableau: "Tout ce qui me reste, c'est cette église. La création du musée l'a sauvée".

Il se rappelle avoir assisté, gamin, à des liturgies avant le déplacement de l'édifice. "Quand plus tard les Soviétiques en ont fait un grenier à blé, on grimpait avec des copains sur les fenêtres et on sautait dans le blé comme dans l'eau", se souvient M. Stoliarenko.

La chute de l'URSS et l'indépendance de l'Ukraine en 1991 ont été accompagnées d'une plus grande liberté religieuse dans ce pays majoritairement orthodoxe. Mais le statut du musée n'a pas été remis en cause, ce qui agace toujours les prêtres locaux.

"A une époque où il n'est plus interdit de prier et de croire en Dieu, l'église doit être utilisée comme un lieu de culte", dit à l'AFP le prêtre Mykhaïlo Iourtchenko, affilié à l'Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale nouvellement créée.

- Elon Musk à l'aide -

La confession rivale, dépendante du Patriacat de Moscou et généralement à couteaux tirés avec l'Eglise autocéphale, est pour une fois du même avis. "Bien sûr que ce n'est pas bien", a déclaré à l'AFP le père Féodossi du monastère local, tout en reconnaissant son impuissance: "C'est la propriété de l'Etat et nous ne sommes pas en position de changer cela".

Son Eglise affiliée à Moscou traverse actuellement de vives tensions avec les autorités pro-occidentales. Difficile dans ce contexte d'espérer récupérer l'édifice transformé en musée... "Mieux vaut un musée que des schismatiques" de l'Eglise indépendante, philosophe le prêtre Féodossi.

Les autorités ukrainiennes, elles, semblent montrer peu d'intérêt pour ce musée de l'espace, qui se visite essentiellement en saison chaude faute de chauffage et se délabre. Les pièces d'exposition sont fatiguées et la peinture bleu ciel des murs s'écaille.

Un thermomètre à l'intérieur affiche -10°C. "Il fait froid comme dans l'espace", plaisante une guide emmitouflée dans un manteau et un bonnet.

Pas découragé, le responsable scientifique Sergui Volkodav compte écrire à l'excentrique Elon Musk, patron de la société spatiale américaine SpaceX, pour lui demander s'il peut fournir de nouvelles pièces d'exposition et pour l'inviter dans son musée: "C'est l'unique musée d'espace au monde établi dans une église. C'est ce qui fait son charme".

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