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La génétique pour percer les secrets des meilleurs chevaux de polo du monde en Argentine

On naît champion ou on le devient ? En Argentine, première nation du polo, des scientifiques cherchent à déterminer quels gênes font des chevaux locaux les meilleures montures de ce sport équestre où les animaux clonés ont déjà droit de cité sur les terrains.

Dans les haras de la province de Buenos Aires, où se déroulent les plus grandes compétitions mondiales de cette discipline importée à la fin du XIXe siècle par les migrants anglais, les "polos argentins", comme on les appelle, sont bichonnés comme de véritables oeuvres d'art.

Ces chevaux, reconnaissables à leur petite taille et leur fine musculature, "sont uniques", à la fois rapides et résistants, explosifs et dociles, explique Guillermo Buchanan, vétérinaire de l'Association argentine d'éleveurs de chevaux de polo.

Pendant un match, "ils pivotent à toute vitesse, freinent, doublent, accélèrent alors qu'ils sont en train de dépasser", décrit, admiratif, Pablo Trigo, spécialiste de la reproduction équine. "S'ils étaient une machine, elle serait extraordinaire."

Les chevaux argentins utilisés pour les matchs de polo sont issus d'un processus de croisement à l'oeuvre depuis des décennies entre la lignée créole (criollo), descendante des premiers purs-sangs arabes emmenés par les conquistadors espagnols, et la lignée anglaise.

C'est aujourd'hui une race à part entière que la science compte étudier pour mieux connaître ses spécificités.

A partir de décembre, 80.000 chevaux de polo argentins vont ainsi être l'objet d'un programme visant à cartographier le génome de l'animal, un projet de l'Université nationale de la Plata (UNLP) en collaboration avec quatre autres universités argentines.

Les résultats seront connus dans trois ans et devraient permettre le lancement d'un programme de sélection génétique, afin d'optimiser les caractéristiques physiques et le tempérament des futures montures.

- Animal le plus cloné -

L'Argentine est "absolument en pointe en matière de recherche appliquée sur le cheval de polo", explique le généticien Sebastian Demyda, un des directeurs du projet.

Outre la transplantation d'embryons et le choix du sexe de l'animal - les juments sont préférées sur les terrains car elles sont plus dociles -, les éleveurs n'hésitent pas à recourir au clonage qui s'est répandu ces dernières années avec la bénédiction de l'Association nationale de polo.

On estime à 200 le nombre de chevaux de polo clonés en Argentine, qui sont pour la plupart des "copies" de chevaux d'élite. Le polo argentin est ainsi l'animal le plus cloné au monde et les clones sont désormais nombreux sur les terrains, où ils obtiennent d'excellents résultats.

Il n'est d'ailleurs pas rare de voir les meilleurs joueurs participer à un match avec six ou sept de leurs meilleurs clones, les rotations des chevaux étant très importantes lors des matchs de polo en raison de l'effort demandé.

Les progrès de la recherche appliquée suscitent d'autant plus d'intérêt que les montures argentines les plus performantes s'arrachent à prix d'or dans le monde. Un des clones d'une jument légendaire a ainsi été vendu récemment 800.000 dollars aux enchères.

Mais le clonage risque de limiter l'évolution équine naturelle à cause de l'appauvrissement génétique, met en garde Sebastian Demyda. "Les clones font que la structure génétique de la race s'appauvrit, ils sont comme une photocopie", rappelle le généticien.

Il souligne aussi l'iniquité entre équipes que peut générer une telle pratique alors que cloner un cheval coûte au minimum 30.000 dollars.

Quant à la manipulation génétique, un laboratoire privé a progressé en la matière, mais a renoncé à utiliser ses avancées, la pratique n'étant pas autorisée par la loi. "La limite, c'est la manipulation. Ce serait du +dumping+ génétique", confirme le vétérinaire Guillermo Buchanan, sur la même ligne que l'Association nationale de polo.

- Connexion spéciale -

Si les progrès scientifiques se concentrent sur la naissance des meilleurs spécimens, le dressage est lui aussi déterminant, entouré d'une véritable aura en Argentine où la figure du "gaucho", le gardien de troupeaux des vastes plaines sud-américaines, est encore très vivace.

Dresser un cheval de polo peut prendre sept ans, explique Ezequiel Correa, 33 ans, spécialiste de la discipline, en rappelant que ce qui est demandé au cheval pendant une partie de polo va à l'encontre des ses instincts naturel. Mais "chaque cheval a son rythme naturel", souligne-t-il.

Il faut notamment habituer le cheval aux mouvements du maillet qui ne cessent de frôler les membres des animaux, aux bruits des coups contre la balle. Tout cela se fait au prix d'un entraînement de longue haleine, de vingt minutes par jour.

"C'est comme apprendre à un enfant à lire, une lettre à la fois. Si vous le faites lire devant la classe, vous le traumatisez. Si vous exposez le cheval au polo et qu'il n'est pas prêt, il est traumatisé. Il est ensuite très difficile de revenir en arrière", explique Ezequiel Correa, qui se consacre aux chevaux depuis 20 ans.

Le résultat final est une certaine "alchimie" entre le cheval et le cavalier. "Il doit y avoir une connexion spéciale, il y a un travail de jambes et de communication qui est unique, si ça marche, on peut avoir un champion."

La génétique n'y sera alors pour rien. Car "personne ne peut détecter simplement par les gênes qui sera le prochain Lionel Messi", champion argentin de football, rappelle en souriant Sebastian Demyda.

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