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Le théâtre plonge dans le scandale du Mediator avec "Mon Coeur"

Après le cinéma, le théâtre s'empare du scandale du Mediator avec "Mon Coeur", une plongée bouleversante dans le quotidien d'une femme qui paye très cher son désir de minceur. La pièce est donnée au Théâtre des Bouffes du NordThéâtre avant une tournée.

"Ce médicament va vous aider. Et en plus, il est remboursé par la sécurité sociale: elle est pas belle la vie?" C'est avec ces mots que la généraliste de Claire Tabard lui prescrit du Mediator, un médicament initialement destiné aux diabétiques mais largement prescrit comme coupe-faim, avec pour conséquences de graves lésions cardiaques.

La metteure en scène Pauline Bureau a choisi de concentrer dans ce personnage de femme le parcours des nombreuses victimes du Mediator qu'elle a rencontrées pour écrire la pièce, de Paris à Lille, Marseille, Carcassonne ou Dinard.

Émue par une interview à la radio en 2014 d'Irène Frachon, la pneumologue qui a révélé le scandale, Pauline Bureau est allée à la rencontre de ses patients, d'un avocat, de spécialistes du droit des victimes.

Elle écrit finalement "l'histoire d'une femme qui contient un peu de chacune des personnes que j'ai rencontrées". Claire Tabard est jeune, jolie, mais elle n'arrive pas à perdre ses kilos après sa grossesse. Sa généraliste lui prescrit le fameux coupe-faim.

Claire le prend pendant 7 ans. Bingo! Elle redevient mince, une nécessité dans son travail de vendeuse de lingerie. Mais elle s'essouffle, est épuisée en permanence.

La pièce la montre haletante dans un test d'effort chez le cardiologue. Puis c'est l'opération à coeur ouvert pour remplacer les valves, très réaliste, au point que certains spectateurs quittent la salle.

L'opération est une réussite. Mais c'est en fauteuil roulant que Claire rentre chez elle. Elle va reprendre une vie de malade, diminuée. Sa vie affective et sexuelle s'effondre. Son estime de soi aussi, avec cette énorme cicatrice qui court entre les deux seins.

La pièce de théâtre dissèque comme dans le film "La Fille de Brest" d'Emmanuelle Bercot les étapes du combat d'Irène Frachon, le dialogue de sourds avec les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le retrait du marché (en 2009, cinq ans après l'Espagne et l'Italie).

- Point de vue féministe -

Mais là où le film se concentrait sur la figure héroïque d'Irène Frachon (Sidse Babett Knudsen), la pièce met l'accent sur les victimes, souvent des femmes modestes complexées par leur poids dans une société aux normes esthétiques implacables.

Sans vidéo, sans artifice particulier, le théâtre fait la preuve de son efficacité avec une mise en scène inventive, servie par d'excellents comédiens (dont Marie Nicolle dans le rôle de Claire Tabard et Nicolas Chupin dans celui de l'avocat).

Le plateau est divisé en deux niveaux: en bas le logement de Claire Tabard et de son fils, au dessus, le bureau où Irène Frachon réconforte ses patients, se met en colère contre la bureaucratie.

Le savoir-faire de la jeune metteure en scène, auteure de pièces pour les enfants (Dormir cent ans) comme pour les adultes (Sirènes, Modèles), s'épanouit dans cette tragédie contemporaine.

Quoi de plus théâtral que ce collège d'experts alignés sur scène, avec ses personnalités méfiantes, voire hostiles comme l'avocat du groupe Servier, qui réclame toujours plus d'expertises pour retarder la procédure?

La pièce pourrait paraître caricaturale si les faits ne l'étaient pas tout autant: entre le premier cas avéré et le retrait, il s'écoule dix ans, pendant lesquels des gens souffrent, meurent (500 à 2.000 décès estimés). Fin octobre 2016, 2.276 patients avaient reçu une offre d'indemnisation, pour la plupart plusieurs années après les faits.

Dans la pièce, Claire Tabard est indemnisée 3 ans, 4 mois et 17 jours après sa demande, après des interrogatoires humiliants, où elle doit détailler sa sexualité, exhiber sa cicatrice.

Après l'émotion, c'est enfin l'apaisement quand sur scène retentit une cantate de Bach, chantée "a cappella" par Irène Frachon et le médecin qui a accompagné son combat.

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