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Procès du "carbone marseillais": "Il n'y avait aucune limite à la fraude"

"Il n'y avait aucune limite à la fraude", faute de régulation sur le marché des droits à polluer: le tribunal correctionnel de Paris a abordé lundi le cœur du volet "marseillais" de la colossale escroquerie à la "taxe carbone", le plus spectaculaire.

Dans cette affaire qui porte sur 385 millions d'euros éludés au fisc français, trente-six personnes sont au banc des accusés, dont une ex-enseignante de Marseille.

Après deux journées de batailles procédurales la semaine dernière, les débats ont cette fois porté sur la myriade de sociétés écrans et flux financiers opaques qui constituent la base du dossier. Un dossier complexe dans lequel on parle "décaissement chinois", "boucle californienne", "transfert de quotas" ou "compte rebond".

Le directeur de l'enquête aux douanes judiciaires a longuement relaté le déroulé des investigations, expliquant que le marché des quotas carbone, dématérialisé et très peu réglementé, n'opposait en 2008-2009 "aucune limite à la fraude" à la TVA.

A tel point que lorsqu'en juin 2009, les opérations sur ce marché ont été exonérées de TVA en France devant l'ampleur colossale de l'escroquerie - 1,6 milliard d'euros éludés au fisc - les transactions se sont effondrées de "80%". "On peut effectivement considérer" que cela correspond au pourcentage de transactions frauduleuses, a noté l'enquêteur.

Dans ce dossier noué en 2008-2009 dans la région de Marseille, 385 millions d'euros ont été soustraits au fisc français par le biais de deux sociétés, Energie Groupe et RIDC, sur le schéma d'une banale escroquerie à la TVA.

Sur ce marché, les sociétés frauduleuses pouvaient vendre leurs droits à polluer "même à perte", a raconté l'enquêteur, "car cette perte était minime au regard du montant de la TVA" à 19,6% éludée au fisc.

Le gros du magot a quitté la France sous forme non pas de fonds, mais de "quotas carbone", a expliqué la présidente du tribunal. Quotas finalement cédés à un courtier polonais pour 284 millions d'euros qui, à leur tour, se sont envolés vers des comptes offshore ou ont été blanchis dans de l'immobilier en Californie ou à Marseille.

- 'Clan' -

La trace de dizaines de millions n'a pas été retrouvée et les écoutes pratiquées durant l'enquête ont révélé que les deux principaux suspects, Christiane Melgrani, ex-enseignante marseillaise, et Gérard Chetrit, financier, ont "longuement évoqué la manière de freiner les commissions rogatoires internationales par le biais de recours" menant au-delà de la durée maximale de conservation des données bancaires, a décrit l'enquêteur.

Les débats, prévus jusqu'à fin mars, porteront également sur les responsabilités de chacun des 36 prévenus.

Dans ce dossier tentaculaire où les versions des uns et des autres "sont très évolutives", "c'est un peu Mme Melgrani qui donne le ton", a estimé la présidente.

En fin de journée, cette femme de 59 ans qui comparaît détenue est venue déposer à la barre pour la première fois, en pantalon de jogging et baskets.

A la présidente qui la décrivait comme "à la tête d'un clan, sans connotation péjorative du tout", elle a répondu, voix gouailleuse et teintée d'accent marseillais: "J'espère !"

Si elle reconnaît avoir participé à une phase "test" de la fraude dès 2006 - 240.000 euros de TVA éludés - elle assure ne pas avoir participé ensuite à la phase "escroquerie" de la fraude record.

"J'ai pas voulu participer directement à la +taxe carbone+ en France, car je sortais d'une affaire de TVA" (dans laquelle elle a été condamnée, ndlr), a-t-elle assuré. "J'étais OK pour tout ce qui était blanchiment et compensation".

Elle a expliqué avoir créé les sociétés RIDC et Energie Groupe, les avoir revendues pour 100.000 euros, puis avoir participé en "toute connaissance de cause" au mécanisme de blanchiment avec l'aide de proches pour ouvrir des comptes aux antipodes: "J'ai pris des gens autour de moi".

Elle dit en avoir retiré "un peu moins de 10 millions d'euros". "J'en ai profité, j'en ai fait profiter ma famille. Rien d'extraordinaire".

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