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Un an après le scandale du Centre du don des corps, les victimes ne veulent "rien lâcher"

"Nous ne lâcherons rien": les proches de défunts ayant donné leur corps à la science mettent tous leurs espoirs dans l'enquête conduite depuis cet été par un juge d'instruction sur les conditions indécentes de conservation des dépouilles au Centre du don des corps à Paris.

Exactement un an après les premières révélations de l'Express, six responsables de l'association "Charnier Descartes Justice Dignité" (CDJD) ont manifesté vendredi devant les locaux de ce qui a longtemps été considéré comme "le temple de l'anatomie française".

Sur des pancartes blanches, les manifestants affichent leurs messages: "Ministère, université, 1 an de silence, 1 an de lâcheté"; "Un corps donné n'est pas un corps abandonné".

Le 27 novembre 2019, l'hebdomadaire décrivait dans un article glaçant des locaux vétustes, des dépouilles putréfiées et rongées par les souris ainsi que des soupçons de marchandisation des corps au sein du plus grand centre d'Europe de ce type.

Rapidement, la ministre de la Recherche Frédérique Vidal ordonne sa fermeture.

Chargés d'une enquête administrative, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale de l'éducation du sport et de la recherche (Igésr) concluent en mars que l'université Paris-Descartes est responsable de "graves manquements éthiques" et ce pendant plusieurs années.

La mère de Laurence Dézélée, vice-présidente de l'association CDJD avait donné son corps. "Elle insistait pour cela. Moi j'étais réticente. J'ai voulu respecter ses volontés... La découverte du scandale a créé un sentiment de trahison", raconte-t-elle à l'AFP.

A ce jour, environ 170 plaignants se sont manifestés auprès de la justice, selon une source judiciaire.

L'Université de Paris, nouvelle entité issue de la fusion en janvier dernier de Paris-Descartes et Paris-Diderot, a demandé à se constituer partie civile, au nom d'"un préjudice réputationnel". L'université "n'est pas là pour désigner des responsables mais pas non plus pour en protéger, s'il s'avère que des alertes très fortes sur des maltraitances ont bien été ignorées", souligne auprès de l'AFP son avocat, Me Patrick Maisonneuve.

Principale lanceuse d'alerte, Dominique Hordé, ex-secrétaire générale du Centre, a été entendue début novembre comme témoin par le juge d'instruction Adrien Lallement, chargé depuis juillet de l'enquête ouverte pour "atteinte à l'intégrité du cadavre".

- "Personne n'a voulu voir" -

"Personne n'a voulu voir, plein de gens étaient au courant", dénonce-t-elle à l'AFP.

Arrivée en 2016, la responsable tente de gérer l'urgence. Dans des messages envoyés à sa hiérarchie et consultés par l'AFP, elle alerte inlassablement sur la "vétusté" des installations, évoquant tour à tour des chambres froides "devenues des garde-mangers" pour les souris, "des chariots sur lesquels sont entassés plusieurs corps" ou encore un climat interne "de tension et de violence".

Elle quitte ses fonctions en 2018. Il lui a depuis été reconnu un syndrome de stress post-traumatique.

Le 12 novembre, l'ancien président de l'université Paris-Descartes, Frédéric Dardel, a été placé en garde à vue, avant d'être libéré sans poursuite à ce stade.

Devenu président fin 2011, il "est le premier qui s'est rendu compte, par des alertes, qu'il y avait des travaux à faire, qui les a fait voter et a obtenu un financement de 60 millions d'euros", défend son avocate, Me Marie-Alix Canu-Bernard.

"Il a lancé ces démarches le premier mois après sa prise de fonctions", assure-t-elle, évoquant une inertie administrative dans laquelle la "responsabilité de l'Etat" est "flagrante".

M. Dardel "nous prend pour des billes!", s'emporte Agnès Leroy, trésorière de l'association CDJD. Dans leur rapport, l'Igas et l'Igesr soulignent que "l'importance et la répétition" des alertes, "à différents niveaux et selon différents vecteurs, tranchent avec l'absence de réaction à la hauteur de la gravité des faits signalés jusqu'en 2018".

D'autres responsables seront-ils entendus? L'Express pointait aussi le rôle joué par le Pr Guy Vallancien, ancien chargé de mission auprès de plusieurs ministres de la Santé, et par sa société anonyme - l'Ecole européenne de chirurgie, créée en 2001 au sein de l'Université. Celle-ci revendait des corps notamment aux industriels pour leurs propres tests, comme des crash-tests automobiles.

Désormais, "notre souhait est de voir évoluer le dossier vers la désignation d'éventuelles responsabilités", commente Me Frédéric Douchez, avocat de 80 plaignants.

David Artur, fils de l'animateur de radio José Artur, décédé en 2015 et qui avait fait don de son corps, tranche : "Il faut que les responsables soient reconnus coupables."

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