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Voile: Un tour du monde à l'envers pour remettre le monde "à l'endroit"

Faire du neuf avec du vieux: apôtre de l'économie circulaire, le skipper Romain Pilliard prépare pour l'hiver prochain un tour du monde à l'envers avec le trimaran sur lequel Ellen MacArthur avait battu le record à l'endroit il y a 15 ans.

Dans la classe Ultime, le somptueux multicoques de 23 mètres conçu en 2003 pour et par la navigatrice britannique fait désormais figure d'ancêtre. Son record du tour du monde en 71 jours en 2005 a vite été battu, et François Gabart l'a fait descendre, en solitaire, à 42 jours en 2017.

Ce grand trimaran blanc, passé de mains en mains, a échoué en 2010 dans le port de Brest, où il est resté à l'abandon pendant six ans.

"On s'est dit que ce bateau devait naviguer", raconte Romain Pilliard, 45 ans, ancien équipier d'Ellen MacArthur. Avec l'aide de mécènes et de sponsors, "on a investi pour le racheter et surtout pour le remettre en état".

Dès le départ, le projet "Use It Again !" (Réutilise-le, comme il est écrit sur la grand-voile) se veut une démonstration d'économie circulaire, qui vise à limiter la consommation et le gaspillage en optimisant la production, l'usage et le recyclage des biens. Un thème cher à Ellen MacArthur, qui a quitté le monde de la voile pour créer une fondation pour développer l'économie circulaire.

En 2018, Pilliard et "Remade-Use it Again!" terminent 4e de la Route du Rhum dans la catégorie Ultime, loin derrière les cadors mais épargnés par les avaries qui en ont poussé beaucoup à l'abandon.

- "Le record le plus difficile" -

"C'est un bateau très sûr", explique Pilliard.

Sur l'eau, il gronde et craque mais reste bien plus stable, même quand ses flotteurs s'envolent au-dessus des vagues, que tant d'autres Formule 1 des mers qui lessivent leurs skippers comme dans le tambour d'une machine à laver.

Cela sera-t-il suffisant pour s'attaquer au tour du monde contre les vents et courants, encore jamais réussi par un multicoque ? "C'est le record le plus difficile, le plus extrême, le plus long", reconnaît Pilliard.

"Mais on veut montrer que ce bateau dépassé peut encore faire un record que les bateaux modernes ne pourraient plus faire parce qu'ils sont trop fragiles", ajoute-t-il. En somme, "un tour du monde à l'envers pour tenter de remettre les choses à l'endroit".

Seule une poignée de skippers l'ont bouclé, dont le dernier en date, et le plus rapide: Jean-Luc Van Den Heede en 122 jours en 2003. La dernière tentative remonte à 2017, mais Yves Le Blevec avait chaviré au Cap Horn.

Tous étaient partis en solitaires, alors que Pilliard prévoit de s'élancer en double, avec un coéquipier qui doit le rejoindre en juillet.

"Mais ce n'est pas parce qu'on sera deux qu'on va aller forcément plus vite". Ainsi passer le Cap Horn pourrait nécessiter d'attendre plusieurs jours une fenêtre entre deux dépressions. "Et dans un tour du monde à l'envers, le bateau s'use et souffre tellement qu'il faut en garder sous le pied".

- "Démonstration par l'exemple" -

L'heure est donc aux préparatifs techniques, avec le souci constant de privilégier l'existant, le recyclé et le reconditionné.

Ainsi, ses voiles ont été taillées dans d'anciennes voiles, à l'exception de la grand-voile, commandée pour la Route du Rhum, et qui après une expertise minutieuse vient d'être déclarée encore apte au service.

Parallèlement, Pilliard a récupéré des rouleaux entiers de tissus déclassés chez un fabriquant d'airbags et destinés à l'enfouissement alors qu'ils sont parfaits pour protéger les voiles et les winches. Et les vieux haubans vont partir chez un recycleur néerlandais qui en fera des gants pour températures extrêmes.

"Le principal défi de l'économie circulaire, c'est la mise en relation. Les solutions ne sont pas forcément dans ton secteur d'activité", explique le skipper.

Pour promouvoir cette manière de sortir du "tout jetable", il multiplie les rencontres et interventions avec des scolaires, des universitaires, des entreprises innovantes, des ONG... Et il prévoit de poursuivre le débat une fois en mer.

Le projet se veut "une démonstration par l'exemple. On veut montrer qu'on peut faire autrement. On ne dit pas qu'on fera mieux, mais on fait différemment, parce que le monde doit faire différemment", plaide-t-il.

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