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"Je ne me considère pas comme privilégiée": des cheminots témoignent

Horaires décalés, astreintes, travaux dangereux... Qu'ils soient conducteurs, techniciens ou commerciaux, des cheminots témoignent de leurs conditions de travail et réfutent l'image de "privilégiés" qui leur colle à la peau.

"Je ne me considère pas comme privilégiée, c'est difficile à gérer, cette image. Dès que je suis entrée à la SNCF, j'ai eu des remarques méprisantes", raconte Samantha, conductrice de train à la SNCF. "Pourtant on ne nous vend vraiment pas le statut de cheminot pour nous recruter."

Entrée à la SNCF en 2008 en tant qu'agent commercial, la jeune femme de 34 ans, membre du syndicat SUD-Rail, a suivi une formation pour devenir conductrice. "Quand j'étais agent commercial de réserve, je n'avais aucun planning fixe et je travaillais en horaires décalés. On pouvait m'appeler la veille pour le lendemain, mais aussi les week-ends et jours fériés. Désormais conductrice, j'ai aussi des +découchés+ deux fois par semaine, mais je gagne un peu plus". Soit un salaire pouvant aller jusqu'à 2.500 euros par mois avec les primes, contre 1.500 euros auparavant. Dans le jargon des cheminots, les "découchés" sont les nuits passées hors du domicile.

Si Samantha apprécie certains avantages comme d'être "rattachée à la caisse de prévoyance" de la SNCF ou d'avoir des billets à prix réduits, c'est avant tout la "sécurité de l'emploi" qui l'a attirée.

"S'il n'y a plus de garantie contre le licenciement économique avec la privatisation et la réforme du statut, je ne me vois pas rester", témoigne Arnaud, 25 ans, chargé de la maintenance des rames. "D'autant que l'on gagne moins que dans le privé", précise ce technicien qui déclare un salaire de base de 1.300 euros par mois.

Arnaud s'inquiète aussi des dégâts sur la santé qu'impliquent ses horaires de nuit: à sa semaine du matin qui commence à 6h10 et se termine à 14h10, succèdent quatre jours de travail de 22h10 à 6h10. "C'est un roulement qui ne me convient pas du tout, je suis complètement déphasé".

- Difficile physiquement -

Autant de contraintes qui, pour Samantha, permettent de parler de "contreparties plutôt que de privilèges" et de s'insurger contre une certaine "désinformation", comme quand un présentateur télé "dit qu'on a 60 jours de congés payés, alors qu'on en a 28".

"Je ne vois pas pourquoi on parle d'emplois à vie. On ne peut pas être viré pour raison économique, mais on le peut pour plein d'autres raisons", défend Arnaud. Membre du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), il voit de plus en plus de cheminots se faire "réformer", car devenus inaptes physiquement et non reclassés.

Pascal, chargé de l'électrification des lignes du réseau, se dit, lui, "satisfait" de sa carrière. Mais, à 58 ans, trop fatigué physiquement, il a renoncé à la prolonger et ne touchera pas l'intégralité de sa pension.

"Je travaille depuis 36 ans à 6-8 mètres de hauteur, à côté de lignes de 25.000 volts et souvent la nuit", raconte-t-il. "C'est devenu difficile physiquement. On intervient de plus en plus pendant nos astreintes, car les lignes sont moins entretenues et que mon unité est passée de 33 à 18 personnes."

Pascal et Arnaud mettent en cause "une politique de risque calculé" de la SNCF aux dépens de la sécurité. "J'ai déjà exercé mon droit de retrait pour un travail sur des toits de TGV que je jugeais dangereux", rapporte Arnaud.

Quant au statut des cheminots, "est-ce qu'en le réformant, les trains vont mieux rouler ? Non, le problème n'est pas là. On essaye de monter les gens les uns contre les autres", dénonce Pascal.

"On a tout fait pour que le statut disparaisse depuis la loi Juppé" de 1995. "A l'époque on avait gagné, mais aujourd'hui c'est plus difficile de mobiliser les jeunes car ils ne peuvent pas se permettre la grève financièrement", ajoute-t-il, rappelant que les cheminots grévistes ne sont pas payés. Peu optimiste, Pascal compte toutefois répondre à un éventuel appel à la grève.

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