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"Tonton", une vie de gardien de phare

Il exerce un métier qui fait rêver et qui disparait: "Tonton", gardien de phare pendant 42 ans en Bretagne, s'apprête à prendre sa retraite et à quitter le Cap Fréhel, des souvenirs plein la besace, "vaincu" par la mécanisation de son métier.

Quand un touriste lui demande de poser pour une photo, Henri Richard, avec sa gueule de l'emploi - barbe blanche, clope mal roulée au bec et casquette marine - lance : "Ce mois-ci, c'est la quille! Le métier est fini mon gars, on automatise tout !".

Mais avant de mettre la clef sous le paillasson, "Tonton", 66 ans, prend plaisir à raconter des morceaux d'une profession qui connaît le même destin que sonneur de cloches ou allumeur de réverbères.

Placé à l'assistance publique, Henri Richard grandit dans le centre Bretagne misérable des années 1950 "dans une maison en terre battue, avec une seule ampoule". Devenu électro-mécanicien, il enchaîne les boulots avant de pointer au chômage. Il décide de toquer à Phares et balises alors qu'il a retrouvé sa mère et découvert qu'il avait "un peu d'eau de mer dans les veines" avec un oncle gardien de phare et un grand-père Terre-neuvas.

Après six mois comme technicien-réparateur, Henri Richard est appelé à faire un remplacement au phare des Héaux, en pleine mer, non loin de l'île de Bréhat (Côtes d'Armor). Le grand saut.

"Je ne savais pas trop à quoi m'attendre...J'ai pris du pain spécial chez le boulanger, des fringues de rechange, des conserves. Car une fois au phare, c'est foutu, y'a pas de supermarché dans le coin! ", relate-t-il. Son binôme lui apprend les manipulations pour allumer le feu. "On avait le mercure, le pétrole, l'amiante, la totale quoi", se marre-t-il.

Outre l'allumage, il devait effectuer la surveillance des bateaux ou actionner la corne de brume. Et découvre une vie solitaire, 14 jours "en haut", 7 jours à terre et des relèves parfois épiques dans les phares en pleine mer. "Faut avoir la passion du métier, si on ne l'a pas, on ne tient pas longtemps". Avec aussi ses moments de creux: "celui qui sait s'occuper ne sent pas le temps passer", philosophe-t-il, lui qui, à l'image de nombreux gardiens de phare, est un grand lecteur et s'est plu à confectionner des bateaux dans des bouteilles de verre.

- "Haut fonctionnaire" -

A l'hiver 1980, il signe pour devenir gardien au redoutable Ar Men, peut-être le plus mythique des phares bretons, au large d'une île de Sein battue par les vents, dans le Finistère: "les anciens nous avaient dit, vous verrez +il bouge+. On pensait qu'ils s'amusaient à nous foutre la trouille. Mais c'était vrai: il bougeait!". En tirant sur sa cigarette, les images de "paquets de mer passant par-dessus" lui reviennent en mémoire.

"Tonton" souligne le rôle des gardiens, comme un jour au phare des Triagoz, au large de la côte nord de la Bretagne où un bateau s'était abimé sur des rochers. "On avait récupéré les quatre gars: sans gardien de phare les pêcheurs seraient restés à la baille", explique cet homme, marié jeune et qui a eu trois enfants, dont un décédé d'un cancer.

Pour son ancien collègue François Joas, "Tonton était le plus agréable des compagnons. Et en cas de panne en pleine nuit, il était bon techniquement, en un quart d'heure ou une demi-heure tout était remis d'aplomb", explique M. Joas, 67 ans, qui avait repeint avec lui la coupole du phare des Roches-Douvres à 60 mètres au-dessus de la Manche.

A quelques jours de la retraite, Henri Richard, est convaincu de l'utilité des "sentinelles de la mer", désormais toutes automatisées. "Les personnes en mer ont toujours besoin d'un point fixe".

Selon lui, en raison "d'économie de bouts de chandelles", une personne chargée de l'entretien passera deux fois par an au phare du Cap Fréhel, "or en six mois un édifice a le temps de se dégrader", plaide-t-il, lui qui, jamais avare d'un bon mot, se présente toujours comme un "haut fonctionnaire"...Ayant vécu une partie de sa vie au-dessus des flots.

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