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"Travailler, ça fait grandir": paroles d'apprentis dans l'industrie

Les heurts des maillets en bois sur la tôle résonnent dans l'atelier de chaudronnerie où s'activent une dizaine d'apprentis, se désolant des préjugés tenaces sur l'alternance dans l'industrie, pourtant souvent synonyme d'emploi à la clé.

Ce jour là, ces jeunes en terminale professionnelle au centre de formation des apprentis (CFA) de Bondoufle, dans l'Essonne, s'adonnent à un exercice pratique original: fabriquer un barbecue sur mesure.

"C'est bourrin ici!", s'amuse Camille Garcia, 19 ans, la seule fille de la classe, casque anti-bruit collé aux oreilles. A l'usine Safran d'Evry-Corbeil, où elle effectue son apprentissage deux semaines par mois, "l'ajustage est beaucoup plus minutieux", explique-t-elle.

Mais son exercice du jour n'a rien de futile. "Il faut savoir lire les plans, découper la tôle, la mettre en forme, l'ajuster... Chacun monte une partie et toutes les pièces doivent s'imbriquer parfaitement", explique Gilles Cathaud, le formateur en chaudronnerie du CFA.

Un savoir-faire manuel précieux, car même les machines à commande numérique, dont les élèves se servent aussi, "ne tombent jamais juste", assure-t-il.

La chaudronnerie, comme le soudage, l'usinage ou la maintenance, fait partie de ces métiers industriels en tension en France. Une conséquence de la reprise économique, mais aussi d'un problème structurel: la pénurie d'apprentis.

En France, l'Education nationale a longtemps eu tendance à conserver les jeunes à l'intérieur des lycées généraux et professionnels: l'apprentissage était un "système marginal", selon Philippe Darmayan, président d'ArcelorMittal France et de la fédération patronale de la métallurgie (UIMM).

- "C'est mal vu" -

Mais "nos jeunes en ont ras-le-bol des études trop théoriques, beaucoup ont besoin de concret, et l'apprentissage permet ça", ajoute-t-il.

Malgré un BTS en électrotechnique en poche, "je ne correspondais pas à ce que les entreprises voulaient, parce que je n'avais pas d'expérience en alternance", témoigne Adrien Froehlich, 26 ans, qui s'est longtemps cherché avant d'opter pour un apprentissage en chaudronnerie.

Mais l'orientation n'est pas la seule responsable. "L'image de l'industrie est plutôt négative, avec tout ce que l'on entend sur les usines qui ferment, délocalisent, licencient", selon M. Cathaud.

L'entourage familial a ainsi souvent tendance à dissuader un jeune d'aller en apprentissage dans l'industrie.

"C'est mal vu", résume Paul Mc Dowell, apprenti usineur au CFA de Bondoufle. Pourtant, "aller au travail ça fait grandir", estime le jeune homme de 18 ans, fier d'avoir pu s'acheter sa propre voiture grâce à son salaire.

"Au début, mes parents avaient peur que je ne trouve pas de boulot", confie aussi Camille Garcia.

"Mes potes rigolent, ils croient que je fais des chaudrons... Mais ils sont en intérim, alors que moi j'apprends un métier, et j'aurai un travail", déclare avec confiance Dénis Humez, apprenti-chaudronnier de 19 ans.

- "Peur" des robots -

Selon le Conseil national de l'industrie, 70% des apprentis trouvent un emploi dans les sept mois suivant leur formation, et 41% des entreprises industrielles auraient du mal à recruter en raison d'un manque de main-d'oeuvre.

Paradoxalement, beaucoup de PME hésitent à prendre des apprentis, faute de moyens pour les accueillir et de crainte qu'ils ne s'attachent pas. "Il faut convaincre les entreprises que les jeunes ont des besoins de rotation, et donc qu'elles doivent avoir une politique permanente d'apprentis", selon M. Darmayan.

Fin mai, l'industrie française s'est fixée pour ambition d'augmenter de 40% son nombre d'apprentis d'ici cinq ans, pour les porter à 87.000 par an, contre 62.000 en 2016.

La loi "avenir professionnel", adoptée cet été, doit par ailleurs rendre "plus perméable" la frontière entre les lycées professionnels et les CFA, et simplifier le financement de ces derniers par les entreprises, salue M. Darmayan.

L'industrie tente aussi de dépoussiérer son image auprès des jeunes en vantant sa transformation numérique. Mais celle-ci est à double tranchant: si la fin des postes "taylorisés" est séduisante, les progrès constants de la robotique et de l'intelligence artificielle inquiètent aussi.

"Les robots, ça me fait un peu peur", glisse Marian Mourlam, apprenti usineur de 18 ans. "Mais je pense qu'il faudra toujours quelqu'un pour s'en occuper", tente-t-il de se rassurer.

Adrien Froehlich, lui, a déjà mûri son projet professionnel: devenir soudeur scaphandrier. Parce qu'il "adore la plongée", mais aussi parce les robots "ne sont pas adaptés" à de tels chantiers. Pour l'instant.

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