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A Marseille, des jeunes sans argent ni réseaux combattent le chômage en créant leur "boîte"

"Monter sa boîte quand on est une femme, arabe, jeune et pauvre, ça le fait! Je suis la preuve que c'est possible", rigole Sarah Fakir, 28 ans, dans son salon d'esthétique, son "bébé", en haut de la Canebière à Marseille.

Depuis qu'elle a créé son entreprise "La pose beauté" il y a quatre ans, Sarah "charbonne, comme on dit à Marseille, au moins 50 heures par semaine, avec dix jours seulement de vacances par an".

Cette ex-commerciale en téléphonie ne regrette pas son CDI chez Orange. "J'avais la boule au ventre le matin, là je sais pourquoi je me lève, ce salon c'est bien plus que des ongles et du maquillage, c'est un condensé de la vie", assure-t-elle. "Je ne rêvais pas d'être mère au foyer comme mes copines, ou d'avoir la même vie que mes parents", une femme de ménage et un agent d'entretien, dit-elle.

"Les entrepreneurs d'aujourd'hui ne sont plus des hommes blancs quinquagénaires", explique Sébastien Chaze, directeur régional de l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), qui délivre des micro-crédits jusqu'à 10.000 euros pour la création d'entreprises à des personnes rejetées par les banques.

"Des personnes sans réseau, ni apport, dont près de la moitié vit en-dessous du seuil de pauvreté", décrit-il. "On est dans le monde réel, pas dans celui des start-ups qui ne font que perdre de l'argent".

En France, le premier département métropolitain créateur d’entreprises est aussi celui qui a le pourcentage de jeunes le plus élevé dans sa population, la Seine-Saint-Denis.

Selon l'Observatoire national de la politique de la ville, la création d’entreprises dans les quartiers populaires est deux fois plus importante que la moyenne nationale, "souvent pour contourner les difficultés d’accès à l’emploi". Des difficultés liées aux quartiers même dans lesquels vivent ces entrepreneurs, "des adresses qui sont pénalisantes", constate Sébastien Chaze.

Sarah, née et adoptée en Algérie et qui a grandi à Felix-Pyat, une cité pauvre de Marseille, a pourtant rarement souffert de discrimination à l'embauche. "Grâce à mon bagout et ma belle gueule", assure-t-elle.

Elle se souvient toutefois avec amertume de cette gérante d'une enseigne de vêtements qui l'employait au noir et qui un jour, en tombant sur sa carte d'identité, lui a dit: "tu aurais pu me parler de tes origines" et ne l'a jamais rappelée.

Aujourd'hui, grâce à un crédit de l'Adie, elle s'apprête à agrandir sa boutique et embaucher une copine "en galère", tant les clientes affluent.

- "aventurier moderne" -

Selon un rapport réalisé en octobre 2017 par l’Adie, 46% des entrepreneurs des quartiers peinent à trouver des financements.

Dans le quartier pauvre de la Belle-de-Mai, Idriss Mihoub qui a voulu ouvrir une "auto-école solidaire" avec des permis à partir de 700 euros par mois "pour les mères au foyer, les jeunes ou les immigrés", a vécu ce parcours du combattant. "Je me suis heurté au refus des banques, mais une fois que mon activité a été lancée grâce à l'Adie, elles sont revenues vers moi, c'était une grosse revanche", raconte-t-il.

Une réussite exemplaire puisqu'en 18 mois, M. Mihoub a créé quatre emplois salariés. "Sans compter tous ceux qu'il a aidés à trouver un emploi grâce un permis moins cher", s'enthousiasme Lionel Canesi, président de l'Ordre régional des experts comptables, qui accompagne ces entrepreneurs.

"Une banque demande les trois derniers bilans avant de prêter à un entrepreneur, mais par définition les créateurs n'en ont pas", souligne-t-il. Pour lui, "aujourd'hui l'entrepreneur c'est l'aventurier moderne" car une fois sa "boîte" créée, il doit la pérenniser.

L'Adie se félicite que 70% des entreprises qu'elle finance, soient encore en activité après deux ans, et que 84% des bénéficiaires aient un emploi.

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