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A Saint-Ouen, deux tours HLM au cœur d'un procès en "gentrification"

A Saint-Ouen, deux tours se vident de leurs habitants et font débat: le maire, qui refuse tout relogement dans ces HLM en raison du deal qui y sévit, est accusé de vouloir "virer les pauvres" en vue d'un projet immobilier au cœur des Puces.

Avec leurs publicités en lettres capitales au sommet, les tours des "Boute-en-train" sont visibles des automobilistes du périphérique parisien comme des millions de visiteurs qui, chaque année, arpentent les allées des Puces de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Mais elles sont connues, surtout, de ceux qui s'y fournissent en cannabis.

En bas, les guetteurs, omniprésents, assurent la tranquillité des transactions. Dans les étages, les paliers où flotte une odeur d'urine se vident de leurs habitants depuis un an.

Des portes anti-squat en acier noir murent une quarantaine d'appartements vacants sur les 200 que comptent ces tours de 16 étages construites en 1965.

Sous sa double casquette de président du bailleur social Semiso et maire de la ville, William Delannoy (UDI) a décidé de ne reloger aucune famille dans ces tours "infernales".

Trafic, halls squattés, gardiens, ascensoristes et personnels d'entretien apeurés... Il évoque un "traquenard" et juge l'Etat de droit "défaillant dans un quartier aux portes de Paris", classé zone de sécurité prioritaire.

Les locataires, eux, ont plutôt le "sentiment d'être laissés à l'abandon" par leur bailleur. Ils le disent dans une lettre que la présidente de l'amicale des locataires Christine Regonesi fait signer, porte après porte.

Entre deux discussions, elle aide une mère à franchir une volée de marches avec sa poussette, l'ascenseur ne montant plus jusqu'au 16e.

La sexagénaire qui vit aux "Boutes" depuis ses 8 ans espère "recréer une vie de quartier comme ça existait autrefois". En attendant, certains amis ne "veulent plus venir" la voir.

Sans taire les difficultés, une locataire anonyme aimerait montrer au bailleur "qu'il ne faut pas détruire l'immeuble".

Deux portes plus loin, un voisin voudrait, lui, déménager: "Ça se dégrade de plus en plus. Je me bouche le nez, je regarde ailleurs."

- "Rééquilibrer" la population -

En refusant tout nouveau locataire, le maire-bailleur est en délicatesse avec l’État. Une convention l'oblige à laisser une partie des appartements à la disposition de la préfecture pour loger des personnes en grande difficulté. Dans un département où 112.000 demandes de logement social sont en attente, dont 10.000 dossiers Dalo (droits au logement opposable), l'élu a été rappelé à l'ordre par la Direction de l'hébergement et du logement (DRIHL).

Pour couper court, le bailleur a dénoncé cette convention, qui prendra fin le 30 juin.

"Il est dommage que le maire de Saint-Ouen se soit engagé seul dans cette démarche", commente Fadela Benrabia, préfète déléguée à l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis.

Surtout, prévient-elle, William Delannoy ne pourra pas compter sur le soutien de l'Etat pour trouver un nouveau logement aux locataires.

"Ça prendra le temps que ça prendra", balaie l'élu.

L'avenir du site nourrit les spéculations. D'autant que le maire ne s'est jamais caché de vouloir "gentrifier" sa ville, qui compte 50.000 habitants et 43% de logements sociaux.

Il veut élargir son électorat, grincent les communistes, qui tenaient Saint-Ouen depuis 69 ans avant son élection en 2014. Le chef de l'opposition Frédéric Durand trouve "assez honteux d'utiliser les problèmes réels du quartier pour supprimer une partie de la population".

Le maire veut "virer les pauvres de Saint-Ouen", renchérit Philippe Germain, de la Confédération nationale du logement, qui parie que l'édile fera de l'hôtellerie "pour accueillir les touristes étrangers des Puces".

Logements, bureaux, hôtel... Rien n'est fixé, tempère William Delannoy. Une fois les tours vidées, "on verra si on les démolit, les réhabilite, les transforme", sans exclure une part de HLM.

"On ne chasse pas les pauvres, assure-t-il. On fait un rééquilibrage en faisant venir massivement des gens qui vont acheter leur logement."

Dans l'intervalle, l'insécurité risque de se renforcer à mesure que les étages se vident. L'isolement profite aux dealers à la recherche d'appartements où planquer leur marchandise.

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