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Allons-nous donc sauver les banques encore une fois ?

La crise de 2008 qui s'est muée en crise de la dette, principalement de la Grèce, et pour laquelle nous avons déjà payé et nous pourrions encore payer, est causée par une véritable mafia financière qui a corrompu le monde politique, estime Wolfgang Hertz, conseiller anticorruption à l’Office européen de lutte antifraude.

Alors que la Grèce ne cesse de se débattre pour échapper à la faillite totale provoquée par l’énormité de sa dette, alors que les citoyens européens ont déjà payé cher la crise financière en sauvant les banques en 2008 et pourraient à nouveau devoir payer pour faire sortir l’Union de la crise de la dette européenne actuelle, Wolfgang Hetzer, conseiller anticorruption à l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), a accordé une entrevue au quotidien allemand Die Welt et dans laquelle il évoque une mafia financière qui a corrompu le monde politique. La cupidité des financiers associée à la corruption des politiques a, selon lui, mené aux crises et menaces actuelles. Il n’est pas le seul à le penser. "Lorsque le Premier ministre grec Giorgos Papandreou était en Allemagne, il a déclaré que son pays est dans cette difficile situation parce que la corruption est largement répandue en Grèce", a-t-il déclaré.

"Les politiciens laissent le travail législatif aux mains des institutions financières elles-mêmes"

La crise a éclaté parce que les financiers ont agi avec cupidité, produisant des dérivés financiers hautement spéculatifs et dangereux. Mais rien ne serait arrivé si les politiques avaient pris des mesures. Il n’y a eu aucune surveillance. Le monde politique n’a pas limité le périmètre d’action des financiers. Il a laissé faire.  "La politique a permis aux entreprises financières de ne pas inscrire toutes leurs opérations dans le bilan, et de les cacher. Elle a admis que les banques ne disposent pas de suffisamment de fonds propres en face des risques qu’elles avaient pris. Il n’y a pas eu de limite quant aux opérations sur compte propre des institutions financières avec leurs produits financiers alors que cela aurait été nécessaire. Les politiciens ont admis que les risques de crédit soient transférés jusqu’à 100 pour cent" explique au cours de l'interview Wolfgang Hetzer.

Aucune loi n’est venue brider les institutions financières. Et lorsque des lois ont été ou sont mises en place, ce sont les financiers eux-mêmes qui s’en chargent. "Les politiciens laissent le travail législatif aux mains des institutions financières elles-mêmes" observe le spécialiste anticorruption.  L’expertise dans les administrations des Etats est de plus en plus absente, "la politique délègue son cœur de métier principal, à savoir l’expertise dans l’élaboration de la législation" ajoute M. Hetzer.

"La politique s’est laissée balader sur la scène mondiale par l’industrie financière"

On aurait donc un monde politique faible et sous contrôle : "La politique s’est laissée balader sur la scène mondiale par l’industrie financière comme si on la tirait par un anneau dans le nez. L’industrie financière a placé ses intérêts par paquets de milliards dans la politique. C’est bien à cette conclusion qu’est parvenue la Commission du Congrès américain quand elle a tenté d’établir les circonstances qui ont mené à la crise financière" estime le conseiller de l’Olaf.

La menace majeure de cette mafia: son influence

Et en face, une véritable mafia financière particulièrement puissante et dangereuse: "Le monde financier suit la logique de la mafia, qui est de suivre le maximum de profit avec le minimum de risques (…) L’idée que la mafia vraiment dangereuse est celle caractérisée par la violence, est naïve. Leur menace majeure est leur influence, leur pouvoir par les liens qu’ils construisent, la façon qu’ils ont ainsi de corrompre lois économiques à leur propre avantage, de les faire dysfonctionner ou ne pas entrer en vigueur [quand ça les gênerait]. Telle est la logique de la mafia" estime Hetzer.

"L'électeur fait ses adieux à la politique"

Et au milieu, le citoyen, lui, paie la note et n’y croit plus. "Parce que nul ne s’oppose à ces personnes. Parce que la politique volontairement se livre à leur emprise, l’électeur, de son côté, fait ses adieux à la politique. Nous nous retirons dans la sphère privée, nous nous résignons et nous lamentons que ‘ceux d’en haut’ de toute façon, font ce qu’ils veulent. C’est une attitude qui a toujours fréquemment conduit à des catastrophes auparavant" justifie le conseiller de l'Olaf.

Au bout de la crise de la dette, il y aura une facture. Et les citoyens devront payer. Ils devront payer pour les banques. "Les banques allemandes et françaises ne craignent rien de plus que la faillite nationale des Grecs, parce qu’ils seraient obligés de mettre une croix sur de grosses créances et d’encaisser de lourdes pertes. Ainsi, les recettes fiscales qui sont encore bonnes en Allemagne seront utilisées pour renflouer ceux-là même qui sont responsables de la situation dans laquelle ils nous ont coincés" expose Hetzer.

"Nous allons donc sauver les banques encore une fois ?"
, demande, en guise de conclusion de l’interview, le journaliste de Die Welt.
"Tout à fait", répond Wolfgang Hetzer. "Tout l’argent dont nous avons besoin pour des besoins sociaux urgents, est maintenant utilisé pour payer les intérêts dus aux banques. Mais de cela on ne parle évidemment pas avec la clarté qui conviendrait", conclut l’expert dans l'interview.

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