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Après les taxes Trump, le multilatéralisme commercial "en fin de vie"?

Un système de "palabres" sans résultats, pour reprendre les mot d'un haut responsable américain? Ou la seule voie possible pour éviter une surenchère de taxes et autres barrières douanières? Le multilatéralisme commercial est en tout cas mis à mal par les taxes Trump.

En choisissant vendredi de porter devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) les lourdes taxes américaines sur l'acier et l'aluminium, l'Union européenne a confirmé son attachement à ce principe, selon lequel, dans une économie mondialisée, les affaires commerciales doivent se régler à plusieurs, dans le respect des grands accords de libre-échange.

Ce qui n'est pas du tout l'avis de l'administration Trump. "Nous n'aimons pas les palabres infinies, nous préférons les actions bilatérales pour négocier. Les réunions multilatérales prennent beaucoup de temps et nous sommes animés d'un sentiment d'urgence", avait asséné jeudi le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross.

De passage à Paris pour la réunion annuelle de l'Organisation de coopération et de développement économiques, il est donc resté de marbre face au secrétaire générale de l'OCDE, Angel Gurria, et à son appel à "sauver le multilatéralisme".

Christine Lagarde, patronne d'une autre grande institution économique multilatérale, le Fonds monétaire international (FMI) voit, elle, dans l'offensive américaine une forme "de remise en cause de la manière dont le monde fonctionne" depuis des décennies, basé sur "le principe de la confiance et de la coopération".

L'économiste Philippe Aghion a dit vendredi sur France Inter que le "bilatéralisme (...) serait un retour en arrière très dommageable" pour l'économie mondiale, craignant que l'idée ne soit de "casser l'OMC".

Cette institution est la cible des critiques américaines depuis plusieurs années pour son manque d'efficacité face à la Chine. Tout comme l'OCDE qui n'est pas parvenue à trouver une solution consensuelle pour freiner les surcapacités d'acier du géant asiatique, comme le lui avait demandé le G20 il y a deux ans.

- Un "nouveau monde" -

"Nous avons des institutions internationales qui sont en fin de vie", a déclaré sans détour à l'AFP Ludovic Subran, chef économiste chez Euler Hermes, estimant qu'elles étaient "restées bloquées dans les années 90 en ne parvenant pas à adopter leurs prescriptions à un monde où les enjeux sont globaux, mais où les pays veulent les traiter séparément".

Pour sa part, M. Aghion a dénoncé le rôle de la Chine: "elle a abusé de ce que permettait de faire l'OMC et n'a pas joué le jeu", a-t-il assuré, allant jusqu'à traiter Pékin de "passager clandestin" de cette organisation que les Chinois ont rejointe en 2001.

Surcapacités chinoises, vol de propriété intellectuelle, excédents commerciaux allemands: le multilatéralisme, qu'il soit incarné par l'OMC, l'OCDE ou le FMI, semble impuissant face aux grands contentieux économiques.

Comme pour illustrer cette paralysie, cette semaine à l'OCDE, les Etats-Unis ont bloqué la publication d'un communiqué commun des 34 membres de cette institution. Pas question en effet pour Washington que l'OCDE condamne, même en termes diplomatiques et sans aucune conséquence concrète, le "protectionnisme".

"Depuis l'élection de Trump, c'est un nouveau monde", a confié à l'AFP un spécialiste des négociations internationales dans les couloirs de l'OCDE, avec une remise en cause d'un système qui régit le commerce mondial depuis la création de l'OMC en 1995, quelques années à peine après la chute du mur de Berlin.

"C'est vrai que l'administration Trump dédaigne l'approche multilatérale, mais c'est un peu exagéré de dire que les taxes sur l'acier et l'aluminium annoncent la fin du multilatéralisme", a affirmé à l'AFP Michael Shifter, professeur à l'université américaine de Georgetown et président du Dialogue Inter-américain.

"Il est toutefois vrai qu'il s'agit d'un coup énorme porté aux politiques favorables à la mondialisation", a-t-il reconnu. "Mener de telles politiques n'a jamais été facile et il y a toujours eu de la résistance, mais avec le changement spectaculaire qui est intervenu aux Etats-Unis, ça l'est devenu encore plus".

"Nous dansons au bord du gouffre", a prévenu le secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, avec la même gravité que le président français. Emmanuel Macron suggère même de "regarder en face le miroir des années 30" et évoque la Société des nations (SDN), qui n'était pas parvenue à éviter la Seconde guerre mondiale.

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