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Au bord des rails, les riverains "oubliés" de la LGV

Maisons dépréciées, gîtes désertés, habitants dépressifs... Les riverains se vivent comme les grands "oubliés" des nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), dont ils subissent le bruit strident et les vibrations, sans jamais en profiter.

Danièle et Michel Jégou, 68 et 67 ans, sont venus s'installer dans la petite commune de La Cropte (Mayenne) en 1974 "parce qu'on aimait la nature", raconte-t-elle. Ils y ont rénové une jolie ferme en pierres, avec poules et chevaux, et ont planté un vaste verger.

"On s'est privé de vacances pour bricoler dans notre maison. Notre objectif, c'était d'y passer des jours paisibles et heureux à la retraite", explique Danièle.

Mais l'inauguration, en juillet 2017, de la LGV Le Mans-Rennes, qui passe à 200 mètres de chez eux, a brisé leur rêve. "On a l'impression d'être sur le tarmac d'un aéroport. On ne peut plus dormir comme avant. Ça nous arrive d'être obligés de partir parce qu'on ne supporte plus", décrit Danièle, qui ne prend jamais le train.

Comme eux, ils sont des centaines sur cette ligne, comme sur celle qui relie Tours à Bordeaux, à se plaindre de nuisances sonores insupportables au quotidien.

"C'est vraiment infernal", dit Jean-Luc Vasse, 63 ans, installé à Gauriaguet (Gironde), le long de la ligne Tours-Bordeaux.

Inquiet pour les habitants "dépressifs" de sa commune, Michel Briffault (DVG), maire de Coulans-sur-Gée (Sarthe), a même fait "un signalement pour risque suicidaire" à l'Agence régionale de santé.

"Si ça ne s'améliore pas, on n'a plus qu'à se suicider et faire un carnage avant. C'est plus possible d'encaisser tout ça", s'emporte Odile Picouleau, retraitée de 70 ans à La Bazoge (Sarthe), qui voit passer plus de 80 trains par jour devant chez elle.

Sa fille trisomique, Anahid, 37 ans, "ne supporte plus: elle a les nerfs à fleur de peau et devient agressive", ajoute-t-elle.

A Cesson-Sévigné, près de Rennes, "ma femme prend un casque anti-bruit pour ramasser les haricots", raconte aussi Edgard Blot, 70 ans.

- 'On nous a trompés'-

Merlons, murs anti-bruit, ligne enterrée... Annoncés lors de la présentation du projet, beaucoup d'ouvrages de protection contre les nuisances sonores n'ont finalement pas été réalisés, selon les riverains.

"On nous avait dit: le train, vous ne le verrez pas, vous ne l'entendrez pas", se souvient Michel Jégou. "On nous a trompés, on nous a roulés dans la farine!"

"La population a un sentiment de trahison par rapport à une communication tronquée. On leur disait que ça ferait comme une machine à laver", remarque Jean-Pierre Vogel, sénateur (LR) de la Sarthe. "Ils leur ont fait avaler n'importe quoi pour ne pas avoir de levée de boucliers."

Contacté, Eiffage Rail Express (ERE), gestionnaire de la LGV Le Mans-Rennes, n'a pas souhaité répondre aux questions de l'AFP. Face à la colère des riverains, ERE et Lisea (ligne Bordeaux-Tours), ont commandé une série de mesures acoustiques pour vérifier que la réglementation était bien respectée.

Les résultats seront connus au printemps. Mais les habitants n'en attendent rien: la réglementation ne prend en effet pas en compte le bruit instantané d'un train, mais seulement une moyenne lissée sur la journée. Même avec une centaine de TGV par jour à 85 décibels chacun, la moyenne journalière serait ainsi conforme à la réglementation (moins de 60 décibels en journée), selon un document de SNCF Réseau.

"Le bruit est brutal au moment du passage du train, ça génère des réactions qui ne sont pas illégitimes", reconnaît Patrick Leweurs, directeur du projet LGV Bretagne-Pays de la Loire chez SNCF Réseau.

Courriers aux élus, réunions publiques, pétitions, manifestations: les "oubliés" de la LGV, comme ils s'appellent eux-mêmes, ne savent plus à quel saint se vouer. Beaucoup hésitent à se lancer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse pour obtenir réparation.

Et certains en sont à espérer une grève des cheminots massive et durable...

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