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Au phare de Cordouan, "on attend toujours le dernier moment pour fermer la porte"

C'est quand se referme la lourde porte de bois du phare de Cordouan, alors que la marée montante vient lécher l'escalier de pierre, que l'isolement commence : les visiteurs repartis, il ne reste que deux hommes, chargés de bichonner cet édifice candidat au patrimoine mondial de l'humanité.

"On attend toujours le dernier moment avant de fermer et d'être isolés", souffle Nicolas Quezel-Guerraz, l'un des gardiens de ce temple maritime.

Les flots mêlés de l'Atlantique et de la Gironde encerclent le phare, les côtes girondines et charentaises se détachent au loin et la journée de travail de Nicolas et de son collègue Thomas Dalisson, qui viennent de guider quelques dizaines de visiteurs dans ce lieu quadricentenaire, continue.

Au programme : ménage (notamment cuivres, laitons, boiseries et parquets), petite maintenance (huisseries, électricité, plomberie) ou vérification des réserves (huile, gazole pour les générateurs, eau douce de récupération pour la douche et la vaisselle).

"Balayer, ça reste un des boulots qu'on fait le plus souvent", explique Thomas, pieds nus en cette chaude journée.

"Cordouan, c'est une vieille baraque en pierres au milieu de l'océan , elle perd beaucoup de poussière, même si les récents travaux ont permis de changer beaucoup de pierres attaquées par le sel."

"C'est sympa de balayer dans un tel endroit", assure Nicolas, sous la voûte de la chapelle, où la lumière filtre par les vitraux.

Il faut aussi nettoyer minutieusement les plaques de verre de la lanterne, à 67 mètres en surplomb de l'eau.

Le mécanisme est automatisé, mais l'ampoule de 250W qui génère le faisceau lumineux, doit parfois être changée.

"Et là, on est content d'avoir rallumé le phare!", ironise Thomas.

- "On vit avec les éléments" -

A ces tâches s'ajoutent l'assistance aux secours en cas d'échouements dans cette zone périlleuse, la surveillance du site pour éviter pillage ou vandalisme et, surtout, l'accueil du public (avril-octobre) et d'ouvriers l'hiver.

Car Cordouan s'est refait une beauté pour l'Unesco, dont la décision de classement au patrimoine mondial de l'humanité est attendue à partir de samedi.

"Et quand il n'y a plus rien à réparer ou nettoyer, il y a la mer à regarder", glisse Thomas Dalisson.

Auparavant, face aux visiteurs, il louait sur un ton badin sa "vie idyllique" en montrant le quartier des gardiens : "lambris aux murs, parquet au sol, chauffage en hiver...". Sans parler de la cuisine équipée.

Avec quatre autres collègues, Thomas et Nicolas effectuent des rotations d'une à deux semaines, pour autant de repos à terre, et toujours en binôme. Ils sont employés par le Syndicat mixte pour le développement durable de l'estuaire de la Gironde, gestionnaire du phare.

Une vie qui intrigue. "Les questions des gens, c'est plutôt +Votre femme, elle en dit quoi ?+" que +D'où vient ce marbre?+", remarque ainsi Nicolas, 43 ans, lunettes de soleil sur le front.

Il a commencé cette année : "C'est un choix de vie de quitter sa famille la moitié du temps. Mais on n'est pas aussi isolé que ça, avec les ouvriers l'hiver, le public l'été". Il dit même se sentir davantage reclus chez lui, dans la maison qu'il retape dans le Médoc, qu'au phare.

"Pas un jour ne ressemble à un autre, que ce soit la météo ou l'activité. C'est excitant de ne pas savoir de quoi la journée sera faite", dit-il. "On ne prend pas notre voiture pour venir travailler. On vit avec les éléments, on est tributaires d'eux", notamment pour la relève et l'approvisionnement par bateau.

Thomas, 38 ans dont cinq à Cordouan, était cuisinier à Bordeaux mais a préféré ce métier unique par "envie de changement, de sérénité, de vivre plus en rapport avec la nature".

Et celle-ci le lui rend bien. Notamment, dit-il, quand après une nuit à la belle étoile, le soleil se lève et le phare "devient rouge".

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