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Au procès de France Télécom, la suppression de 22.000 emplois au coeur des débats

Objectif à atteindre ou simple "trajectoire" ? Au procès de France Télécom et de ses ex-dirigeants, jugés pour "harcèlement moral" dix ans après une vague de suicides de salariés, la suppression de 22.000 postes entre 2006 et 2008 était jeudi au coeur des débats.

France Télécom, son ex-PDG Didier Lombard, son ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenes, son ex-DRH Olivier Barberot, sont accusés d'avoir mis en place "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et à créer un climat professionnel anxiogène". Pour les parties civiles, cette politique visait à pousser des milliers de salariés vers la sortie.

C'est pourquoi la suppression de 22.000 emplois et la manière dont cela a été réalisé est un des points essentiels du procès.

Le 14 février 2006, c'est à la presse que Didier Lombard a annoncé l'"accélération" du plan NExT pour la transformation de France Télécom, qui faisait face à une concurrence offensive et des bouleversements technologiques. Pour la première fois, il était question de 22.000 départs sur 120.000 salariés, de 10.000 personnes "en mobilité" et de 6.000 recrutements.

"Comment interpréter ces chiffres?", interroge la présidente du tribunal, Cécile Louis-Loyant. Elle détaille: soit c'est un objectif, une cible à atteindre, soit comme l'ont toujours affirmé les prévenus, c'est simplement une prévision. Une trajectoire qui se réaliserait "naturellement, sans avoir besoin d'appuyer sur l'accélérateur".

Didier Lombard parle d'un "chiffre prévisionnel", donné par la direction financière. Cela provient des surrecrutements dans les années 70 (...) La pyramide des âges était boursouflée".

"C'était juste une projection", martèle l'ex-PDG. L'annoncer "était une obligation parce que France Télécom était cotée en bourse. Mais si on n'avait rien fait, il y aurait quand même eu des départs". 22.000 départs?, l'interroge le tribunal. "Je n'en sais rien", doit-il reconnaître.

- "Objectif atteint" -

En octobre 2006, devant les cadres, il déclarait qu'il ferait les départs "d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte". Mais devant le tribunal, il décrit des salariés en demande de départ: "C'était le sujet permanent".

Olivier Barberot explique que ces 22.000 suppressions d'emplois étaient bien "une trajectoire". Avant d'admettre: "Une fois qu'on a lâché ce chiffre, c'était très difficile de s'en défaire". La publication d'une trajectoire devient une cible, reconnaît-il.

Dès le lendemain du communiqué de presse, le 15 février 2006, il détaillait aux élus du personnel comment ces 22.000 pouvaient être atteints, avec notamment 4.800 départs en congé de fin de carrière, 4.500 mobilités vers un autre service de la la fonction publique (deux tiers des employés étant des fonctionnaires), 6.000 départs pour projet personnel etc.

"Quand on annonce 22.000 suppressions, on n'est pas dans le départ volontaire!", oppose à la défense Me Frédéric Benoist, l'avocat de Unsa-France Télécom.

Lors de l'audience du 9 mai, l'inspectrice du travail Sylvie Catala qui a enquêté en 2009 dans l'entreprise a critiqué "les pratiques brutales", "les pressions" pour pousser les employés à partir. Jean-Claude Delgenes, directeur du cabinet Technologia, opérant dans la prévention des risques liés au travail, a affirmé que Didier Lombard avait instauré "la réorganisation permanente", avec "la volonté de pousser les gens à partir par tous les moyens possibles".

En 2012, au domicile d'une des prévenues, Nathalie Boulanger, les enquêteurs ont retrouvé des documents classés "confidentiel" ou "secret". Il y avait notamment un bilan du plan NExT, avec en titre: "des résultats en ligne ou supérieur aux prévisions". Départs définitifs: "103% de la prévision". Il y a eu 22.450 départs au lieu des 21.800 prévus.

"Des réactions?", a demandé la présidente aux prévenus, sans obtenir de réponse. "Donc objectif atteint", a-t-elle dit, avant de se reprendre: "prévision atteinte et même dépassée". "C'est étonnant qu'on ne mette pas davantage en avant les recrutements, comme si NExT se réduisait à des mobilités", enfonce la présidente.

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