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Au procès du Mediator, l'art de botter en touche d'ex-cadres de l'Agence du médicament

Au procès du Mediator, d'anciens cadres de l'Agence du médicament se succèdent à la barre et rivalisent de talent pour esquiver les questions délicates sur les dysfonctionnements qui ont permis au coupe-faim de rester sur le marché jusqu'en 2009.

Le témoignage de Jean-Michel Alexandre, jeudi, était très attendu. Cet homme aujourd'hui âgé de 83 ans, malade, très fatigué, était un ponte de la pharmacologie. Il était de 1993 à décembre 2000 directeur de l'évaluation du médicament à l'Afssaps, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l'ANSM après le scandale Mediator.

"Avant 2001, l'Agence du médicament et la direction dont j'étais en charge ne portent en aucune façon une responsabilité dans le drame épouvantable du Mediator", commence-t-il. Il est interrogé une heure seulement, en raison de son état de santé, et sur les faits antérieurs à 2001.

Dans les années suivantes, il a pris sa retraite mais est devenu conseiller des laboratoires Servier, ce qui lui vaut de faire partie des prévenus dans ce procès-fleuve qui a démarré en septembre et doit s'achever en avril prochain.

Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, entre 1976 et 2009, le Mediator est tenu pour responsable de centaines de morts. Il était présenté comme un antidiabétique - avec une efficacité jugée modeste - mais largement prescrit comme coupe-faim.

L'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) est jugée pour homicides et blessures involontaires, aux côtés des laboratoires Servier. Les juges d'instruction ont pointé "son incapacité à assurer un contrôle effectif réel du médicament" et mis en avant de "nombreuses anomalies et négligences, parfois fort suspectes".

- "Potiche" -

"Ce produit a été utilisé en dehors de ses indications légales. (...) Le caractère anorexigène (du Mediator, NDLR) n'était pas connu de l'Agence", affirme Jean-Michel Alexandre. L'Afssaps n'aurait "pas fait de rapprochement". La présidente Sylvie Daunis interroge: comment M. Alexandre, lui qui passait pour être le meilleur dans son domaine, a pu se laisser tromper par la firme? Le pharmacologue botte en touche.

Son ex-adjointe, Arielle North, qui était en charge des affaires réglementaires jusqu'en 1998, lui succède à la barre. Elle prévient d'emblée: "l'aspect scientifique, je ne m'en occupais pas". Mais son nom est apparu dans l'enquête pour des faits qui restent mystérieux.

En 1995, la commission d'autorisation de mise sur le marché (CAMM) décide de supprimer pour le Mediator l'indication liée au diabète. Une décision potentiellement lourde de conséquences pour Servier. En avril 1997, un courrier de Mme North aux laboratoires confirme cette décision. Mais quatre mois plus tard, elle leur annonce que la mention thérapeutique du diabète peut être maintenue.

Comment l'explique-t-elle? "Je ne me souviens plus. A l'époque, le Mediator était un des 6.000 médicaments en cours de validation". L'avocate de victimes Sylvie Topaloff s'énerve: "Vous êtes spécialiste de la réglementation et vous autorisez Servier à ne pas appliquer la décision de la CAMM!".

Mme North tente une autre réponse: "Tout le monde faisait au mieux. Il y avait une charge de travail importante, c'est comme les urgences aujourd'hui!".

A la barre, les témoins, anciens de l'Afssaps, sont souvent sur la défensive. Ils décrivent une agence aux services cloisonnés, débordés, avec des salariés très spécialisés, qui ne communiquent pas entre eux.

Mercredi, Carmen Kreft-Jais, chef du département pharmacovigilance de l'Afssaps à partir de 1999, a expliqué elle aussi que le fait que le médicament n'ait pas été classé comme anorexigène a apporté de la "confusion".

Le parquet l'interroge sur le retrait du Mediator du marché en Suisse dès 1998: "Comment expliquez-vous que les autorités de santé suisses aient vu des choses que les autorités françaises n'ont pas vues?". "Je n'ai pas d'information là-dessus", répond brièvement cette témoin, démise de ses fonctions quand le scandale a éclaté.

Le président de la commission nationale de pharmacovigilance, Christian Riché, de 1998 à 2001, n'y est pas allé, lui, par quatre chemins. Son propre rôle était celui d'une "potiche". "C'était à l'Europe d'agir", a-t-il même osé.

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