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Avec Donald Trump, une Fed bientôt sous influence?

La politisation de la gouvernance monétaire américaine est-elle en marche?

Le président Donald Trump, qui se contentait jusque-là de critiquer la Banque centrale, a résolument pris les choses en main cette semaine: non seulement il a sommé la Fed de baisser les taux d'intérêt, mais il s'apprête aussi à nommer plusieurs fidèles aux profils inhabituels au sein du directoire.

Le président, qui salue à l'envi l'actuelle bonne santé de l'économie américaine, veut faire décoller l'année électorale 2020 "comme une fusée", a-t-il dit vendredi.

Selon lui, il faut pour cela que la Fed baisse les taux d'intérêt, voire injecte des liquidités dans l'économie ("quantitative easing") comme elle l'a fait sous l'administration Obama pour soutenir la reprise poussive après la crise financière.

Actuellement les taux directeurs sont à 2,5%, un niveau qui reste relativement bas historiquement.

Pour renforcer son influence sur la Banque centrale, qu'il a traitée de "folle" en 2018 parce qu'elle relevait les taux dans la crainte d'une surchauffe, Donald Trump veut nommer deux de ses ardents supporteurs à des postes de gouverneurs.

Stephen Moore, 59 ans, l'un de ses anciens conseillers de campagne, est un économiste controversé souvent pris en flagrant délit de contrevérités.

Herman Cain, 73 ans, a dirigé une chaîne de pizzerias et a été membre d'une branche régionale de la Fed. Sa candidature à la présidentielle de 2012 a été torpillée par des allégations de harcèlement sexuel.

Vendredi sur Facebook, il a reconnu que ce ne serait pas facile d'être formellement nommé à cause de sa "carrière inhabituelle".

- Inédit depuis les Seventies -

Ces initiatives du milliardaire républicain ont immédiatement suscité des inquiétudes auprès des économistes même si certains, comme Joseph LaVorgna de Natixis, pensent que la Fed est en effet allée trop loin dans les hausses de taux.

Mais le Sénat, dont la majorité républicaine est étroite à 53 contre 47, a la prérogative de confirmer les choix du président pour la Fed et pourrait bien ne pas le faire pour ces deux personnalités controversées.

Le choix de M. Trump "pourrait susciter des interrogations sur l'indépendance de la Réserve fédérale et être perçu comme la tentative d'une politisation de la politique monétaire", a estimé Michael Gapen de Barclays Research.

"On a clairement atteint un point où les menaces contre l'indépendance de la Fed sont au plus haut depuis des décennies", a également réagi Tim Duy, professeur d'économie de l'université de l'Oregon et spécialiste de la Banque centrale.

Il faut en effet remonter aux années 1970 et à Richard Nixon pour retrouver des pressions de cet ordre sur l'institution monétaire: à la veille de sa réélection en 1972, il avait pressé le patron de la Fed Arthur Burns de baisser les taux.

La Fed avait obtempéré, soutenant une économie déjà en sur-régime. Cette politique de l'argent facile devait nourrir l'inflation galopante de la fin des années 1970.

"Donald Trump est vraiment furieux envers Jerome Powell (l'actuel président de la Fed, NDLR) et ses collègues pour avoir continué à relever les taux" fin 2018 "et réalise qu'il peut jouer un rôle et nommer qui il veut", ajoute Tim Duy.

Du côté de l'administration Trump, on se défend d'écorner l'indépendance de la Fed.

"Le président a tous les droits du monde de nommer des gens qui partagent sa philosophie économique", a argumenté dimanche Larry Kudlow, principal conseiller économique de M. Trump.

"On n'a pas à se précipiter de façon échevelée vers une politique de resserrement et une augmentation des taux juste parce que l'économie est en pleine croissance: c'est cela l'argument clé du président Trump", a-t-il ajouté sur CNN.

Au début de son mandat, Donald Trump avait nommé de nouveaux membres de la Fed au profil traditionnel, comme Richard Clarida ou Randal Quarles, deux économistes passés par le Trésor américain.

- "Coincé avec vous" -

Il a remplacé Janet Yellen, première femme à la tête de la vénérable institution nommée par Barack Obama, par Jerome Powell, un homme du sérail, ancien banquier, qui était déjà gouverneur.

Désormais, il reproche en coulisses à son secrétaire au Trésor Steven Mnuchin de lui "avoir refilé ce type".

"Je crois que je suis coincé avec vous", aurait-il récemment dit au téléphone au patron de la Fed, selon le Wall Street Journal, alors qu'il a songé haut et fort à s'en débarrasser, ce qui n'est légalement guère possible.

Récemment M. Powell, qui évite précautionneusement de commenter les invectives du président, a assuré qu'il ne pouvait pas être renvoyé par M. Trump.

"Jusqu'ici on croyait que la Fed allait être la seule institution capable de survoler les remous de Washington mais, de toute évidence, ce n'est plus le cas", lâche Tim Duy. "C'est un coup de semonce", avertit cet économiste alors que Jerome Powell peut être remplacé à la fin de son mandat dans trois ans.

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