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Baring Vostok: loin des projecteurs, trois Russes détenus depuis huit mois

Depuis l'arrestation en février à Moscou de cinq hommes d'affaires, les projecteurs sont braqués sur l'Américain Michael Calvey et le Français Philippe Delpal, aujourd'hui assignés à résidence. Leurs collègues russes, restés, eux, en détention, n'ont pas vu leurs proches depuis bientôt neuf mois.

Ces responsables et employés du respecté fonds d'investissement Baring Vostok, accusés d'être impliqués dans une fraude d'au moins 2,5 milliards de roubles (environ 33 millions d'euros), évoquent une simple dispute commerciale entre actionnaires, et non une affaire pénale.

Ce dossier a secoué les milieux d'affaires occidentaux en Russie et des voix économiques influentes ont fait remonter la cause de Calvey et Delpal jusqu'aux présidents russe Vladimir Poutine et français Emmanuel Macron. Détenus en prison pendant des mois, les deux hommes sont actuellement assignés à résidence en attendant leur procès.

Mais leurs co-accusés russes - Ivan Ziouzine, Vagane Abgariane et Maxime Vladimirov - n'ont pas bénéficié d'un tel soutien public. Ils restent en détention provisoire dans des conditions dures: aucune visite sauf celle des avocats, appels interdits et ils ne peuvent contacter leurs proches que par le biais de lettres "censurées" par l'administration pénitentiaire, a précisé à l'AFP l'un de leurs avocats, Alexeï Lejnikov.

- "Grande tragédie" -

"Il n'y a absolument pas de logique légale à garder certains accusés à la maison et d'autres en prison, alors que la situation est exactement la même", affirme à l'AFP Nina, l'épouse d'Ivan Ziouzine, 36 ans. Le couple a quatre enfants, dont un qui n'avait que quelques mois lors de l'arrestation de son père.

"Ivan a toujours été un père très impliqué", raconte Nina. "C'est une grande tragédie d'être séparés si longtemps". Ivan est le seul a avoir bénéficié récemment de quelques appels par mois.

Directeur des investissements chez Baring Vostok, qu'il a rejoint en 2012, Ivan Ziouzine a étudié et travaillé à Londres et à Moscou. Vagane Abgarian, 49 ans, a travaillé pour Alfa Bank, première banque privée russe, avant de rejoindre Baring Vostok en 2009.

Maxime Vladimirov dirige, lui, une société de recouvrement de créances que M. Calvey est accusé d'avoir utilisée pour perpétrer la fraude présumée. "La séparation est très dure pour notre famille, elle a mis nos vie sens dessus dessous", affirme sa femme Iana.

Selon elle, la différence de traitement entre les accusés est "une attaque directe" contre eux.

L'avocat Alexeï Lejnikov estime qu'il peut s'agir d'un moyen "d'exercer une pression psychologique pour obtenir des preuves", affirmant que "les citoyens étrangers ont été libérés afin de réduire progressivement l'intérêt du public" pour cette affaire.

Les familles des détenus russes s'accordent à dire que l'argument évoqué par la justice pour ordonner la détention à domicile de Calvey et Delpal - soit la possession d'un appartement en Russie - était absurde, les accusés russes étant aussi tous propriétaires.

- Vers davantage de protection -

"Financièrement, c'est évidemment très difficile pour eux sans revenus. Ils vivent de leurs économies et grâce à l'aide de leurs famille et leurs amis", a précisé M. Lejnikov.

Selon le représentant des entrepreneurs auprès du Kremlin, Boris Titov, qui a rendu visite aux trois hommes début octobre, "aucun des accusés ne devrait être en prison". Il précise que "les enquêteurs promettent de terminer l'enquête d'ici la fin de l'année".

Si les investisseurs étrangers sont rarement concernés, les arrestations ou les poursuites contre des entrepreneurs sont relativement fréquentes en Russie, souvent initiées par les autorités locales ou des concurrents.

A l'origine de l'affaire: un conflit entre le fonds et un ex-allié, le banquier Artiom Avetisian, au sujet d'un investissement dans la banque russe Vostochny. La question a été tranchée devant un tribunal arbitral de Londres en faveur du fonds, qui affirme que les procédures russes sont une tentative de pression d'Avetisian afin de mettre la main sur ces actifs litigieux.

En attendant, cette affaire pourrait faire bouger les lignes dans le sens d'une meilleure protection des hommes d'affaires en Russie.

Chose rare, Vladimir Poutine est même allé jusqu'à critiquer en juin les services de sécurité et les forces de l'ordre russes pour leur "intrusion déraisonnable et parfois simplement illégale dans le travail des entreprises".

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