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Contre les assureurs, Bercy ouvre le champ de l'épargne retraite

La crainte couvait depuis plusieurs mois dans le secteur de l'assurance: Bercy va assouplir les règles de l'épargne retraite, prenant le risque, selon plusieurs compagnies, d'en fragiliser la nature et suscitant un débat sur la responsabilité des épargnants.

Objectif affiché par Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, qui s'exprimait jeudi à l'occasion d'une conférence de l'Association française d'épargne et de retraite (Afer): relancer ce placement délaissé par les Français.

Ces produits permettent d'accumuler un pécule, qui ne peut être distribué qu'à la fin de la vie active afin de compléter le système de retraite par répartition.

Mais ils sont fragmentés en de multiples catégories - le Perp individuel, le Perco collectif, les contrats Madelin réservés aux indépendants.. - et imposent des règles assez lourdes pour récupérer son épargne.

L'épargne retraite représente 200 milliards d'euros, un montant "dérisoire" pour M. Le Maire, loin des quelque 1.700 milliards de l'assurance vie. Le ministre, qui compte porter ces encours à 300 milliards d'euros et avait déjà tracé des grandes lignes fin mars, espère remédier à un "système kafkaïen".

Il a confirmé certaines mesures annoncées fin mars. Il sera ainsi possible de transférer entre eux ses principaux produits d'épargne retraite, quel que soit le parcours professionnel du particulier.

Le ministre, qui compte aussi accentuer les incitations fiscales vers ces produits, a également confirmé la généralisation par défaut de la "gestion pilotée": autrement dit la possibilité pour les compagnies de prendre plus de risques au nom de l'épargnant.

L'idée est de faciliter le financement de l'économie, toutes ces mesures s'inscrivant dans le cadre de la future loi "Pacte" qui sera présentée sur le sujet fin mai.

- "Très dangereux" -

"Le projet de loi va dans le bon sens: ça encourage les Français à épargner... Mais on n'est pas dans une incitation à un complément de retraite à proprement parler", explique à l'AFP Thierry Martel, directeur général de Groupama.

Car une autre annonce hérisse quelques poils dans le monde de l'assurance, M. Le Maire évoquant lui-même des "débats homériques": une fois parvenu à la retraite, l'épargnant pourra faire le choix de retirer tout son argent en une fois.

La mesure marque un changement en profondeur pour l'épargne retraite. Actuellement, ces produits prévoient - le Perp autorisant une relative souplesse - un versement sous forme de rente, soit un revenu régulier assuré jusqu'au décès de l'épargnant.

"C'est à l'épargnant de décider de ce qu'il veut faire de son argent au moment de partir à la retraite", a tranché M. Le Maire, défendant la mesure au nom de la liberté de choix.

L'annonce va à l'encontre des revendications du secteur de l'assurance, dont ce système constitue une chasse gardée. Depuis plusieurs semaines, de multiples dirigeants du secteur sentaient le coup venir et mettaient en garde contre une généralisation de la sortie en capital.

Certes, Bercy donne des gages aux assureurs avec le maintien d'un abattement fiscal sur la sortie en rentes et non en capital. Reste qu'au niveau envisagé - 10% -, "ce n'est pas une incitation très puissante...", conclut M. Martel.

Pour les assureurs, prédisposés par leurs compétences à gérer un système de rentes, la mesure est une mauvaise nouvelle. Non seulement ils risquent de se voir confrontés à des sorties accrues de capitaux mais ils craignent d'être mis en concurrence avec d'autres types d'acteurs dont, notamment, les gestionnaires d'actifs.

"On a taxé les assureurs de faire du corporatisme et de défendre leurs intérêts mais c'est un enjeu de société très important", se défend auprès de l'AFP Stéphane Dessirier, directeur général de la MACSF, jugeant "très dangereux" de généraliser la sortie en capital.

"Le risque qu'on prend, c'est que les gens récupèrent leur capital et qu'après dix ans, ils n'aient plus rien", prévient-il. "Il s'agit de préserver les gens contre eux-mêmes."

C'est, en fin de compte, le désaccord sensible entre les discours de certains assureurs et Bercy. Peut-on faire confiance aux individus pour ne pas brûler tous leurs feux et se trouver démunis une fois atteint le grand âge et la dépendance ?

"C'est une drôle de conception des citoyens (de considérer) que si on leur donne la liberté, ils ne sauront pas faire les bons choix", a tranché jeudi M. Le Maire.

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