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Côte d'Ivoire: face aux critiques, l'hévéaculture tente de se renouveler

Après avoir suscité une véritable euphorie en Côte d'Ivoire il y a dix ans, l'hévéaculture, qui fait désormais l'objet d'innombrables critiques, tente de se transformer, en proposant des solutions plus durables.

"Bien géré, l'hévéa est un atout", assure Eugène Kremien, président de l'Association des professionnels du caoutchouc naturel (Apromac), alors que l'hévéaculture est accusée d'épuiser les sols et de mettre en péril la sécurité alimentaire.

L'enjeu est de taille pour le pays, qui produit 60% du caoutchouc d'Afrique (7e rang mondial), avec une production annuelle de 624.000 tonnes et des projections d'un million de tonnes à moyen terme. Quelques 160.000 producteurs vivent du latex, qui emploie aussi des dizaines de milliers de "saigneurs", comme on nomme ceux qui entaillent l'arbre pour faire couler le latex.

Fin 2010, tous les indicateurs étaient au vert. Le prix du caoutchouc était élevé et l'Etat avait même investi 40 millions d'euros pour développer la filière, avec la création de 110.000 hectares de plantations nouvelles, l'ouverture des pistes rurales et la formation aux métiers de l'hévéa.

La plante, qui produit 10 mois sur 12, contre une à deux récoltes par an pour les cultures classiques, était alors vue comme une panacée. De nombreux paysans avaient abandonné leurs cultures traditionnelles, au profit de "l'or blanc".

- "Dévorer les forêts" -

"Les planteurs se sont laissés appâter par le gain, abandonnant les cultures vivrières", déplore Jean-Baptiste Koffi, président de l'Union fédérale des consommateurs de Côte d'Ivoire.

"Les cultures de bananes, manioc, ignames, maïs, riz, qui rentrent dans le bol alimentaire des Ivoiriens ont été délaissées au profit des cultures de spéculation, comme le cacao (dont le pays est le premier producteur mondial) et le caoutchouc", souligne-t-il.

La baisse constante des cours mondiaux du caoutchouc et du cacao depuis cinq ans ne plaide plus guère en faveur de ces cultures non vivrières. Et si le cacao pourrait remonter, les prévisions pour le caoutchouc sont mauvaises.

Pour l'Apromac, pas question toutefois de faire marche arrière. Fin novembre, Eugène Kremien l'a réaffirmé lors du Salon de l'agriculture d'Abidjan (SARA), la plus grande manifestation du genre en Afrique de l'Ouest - tout en proposant que les planteurs d'hévéa diversifient leurs cultures, en consacrant 5 à 10% de leur exploitation à des cultures vivrières maraichères et à des petits élevages (poulets, lapins).

De nombreuses ONG accusent en effet l'hévéa de mettre en péril la sécurité alimentaire de la Côte d'Ivoire, qui importe des produits alimentaires, comme le riz, alors que ses sols sont connus pour être particulièrement fertiles.

L'hevéa est aussi accusé de "dévorer les forêts".

- Revenus à la baisse -

"Les contraintes agronomiques de la culture de l'hévéa (un espace d'un mètre entre les plants en forme carrée), ont poussé des planteurs à marginaliser les vivriers, d'où cette idée que la plante appauvrit le sol", explique à l'AFP Arthur Alloco, de la Fondation Soundélé Konan, chargée de la protection des forêts ivoiriennes.

"L'hévéa n'appauvrit pas le sol, enlevez-vous ça de la tête. Ceux qui le disent ne sont pas des producteurs", rétorque M. Kremien, pour qui "l'hévéaculture moderne doit s'accommoder avec une politique d'autosuffisance alimentaire".

L'Apromac souhaite que le "gouvernement intègre l'hévéaculture dans la politique nationale de promotion des cultures vivrières", la présentant comme une parade à la déforestation qui a détruit en un demi-siècle la quasi-totalité des forêts du pays.

"La culture de l'hévéa ne s'attaque pas aux forêts classées, contrairement à la culture du cacao. En faisant de l'hévéa, on fait du reboisement. Là ou les autres ont détruit, nous on construit", estime Eugène Kremien.

Actuellement, le caoutchouc naturel représente environ 15 à 30% des matériaux utilisés dans la production des pneus de voitures et camions.

En 2015, l'ONG environnementale WWF avait signé un partenariat avec le fabricant français de pneumatiques Michelin pour développer une filière du caoutchouc naturel responsable au niveau international.

Une pratique qui permettrait de préserver, voire de restaurer, des forêts nécessaires pour répondre aux défis posés par le changement climatique.

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