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Course contre la montre au Venezuela pour sauver ses réserves

Vicente Fernandez n'a pas entrouvert son congélateur depuis le début de la panne électrique qui a plongé le Venezuela dans le noir, jeudi après-midi. "J'ai peur que tout soit pourri".

Impuissants face à cette crise d'une ampleur et d'une durée sans précédent -- 72 heures d'affilée dimanche après-midi --, les Vénézuéliens se sont lancés comme ils le pouvaient dans une course contre la montre pour sauver les vivres qui leur restaient, à domicile comme dans les restaurants.

"Je n'ai pas eu une minute de courant chez moi", reprend résigné Vicente, un commerçant de 54 ans en télécomunications en demandant "un régime de bananes bien vertes" au marché de Chacao, qui fonctionne dans la pénombre et sans les boucheries, poissonneries ni laiterie, fermées faute de glace.

Il a décidé de n'acheter que le strict nécessaire au jour le jour. Circonstance aggravante: les commerçants ne prennent plus que les dollars et les espèces, particulièrement rares au Venezuela où la plupart des transactions sont devenues électroniques par manque de billets disponibles avec l'inflation à huit chiffres.

Après avoir convaincu le vendeur qu'il lui transfèrerait l'argent sur son compte en banque, l'homme conclut: "Qu'ils nous envoient les marines, pour une fois!". Un appel à une intervention militaire américaine pour renverser le régime de Nicolas Maduro.

Comme pour les médicaments et les produits de première nécessité, les achats d'aliments sont de plus en plus limités dans ce pays pétrolier, trop chers pour un salaire moyen et souvent manquants. Le salaire minimum, 18.000 bolivars par mois, permet à peine d'acheter deux poulets.

"Aujourd'hui peu importe le prix, il faut manger. Et sortir de cet enfer. Ce gouvernement ne sert à rien, ils ont volé l'argent qui devait permettre la maintenance des infrastructures", poursuit Vicente.

- "Main noire" -

Sans nier la gravité de la situation, qu'il attribue à un "sabotage" de la principale centrale fomentée par les Etats-Unis et l'opposition, le président Maduro a annoncé pour lundi une distribution massive d'aide alimentaire, d'eau et d'essence et donné ordre de secourir en priorité les hôpitaux, où des patiensts sont décédés faute d'assistance selon les ONG - ce que nie le gouvernement.

Attablée dans son restaurant, sur un autre marché de Caracas, Libia Arraiz espère qu'elle ne perdra pas les vivres qu'elle garde au frais. Si le courant ne revient pas lundi, assure-t-elle, ce sera trop tard et la viande et les poissons stockés pour une semaine seront à jeter.

"Ah mon Dieu... Je n'aurai plus qu'à tout donner ou à les répartir dans la famille. Parce que vendre, impossible", raconte à l'AFP la sexagénaire les yeux humides.

Pour le moment, elle prépare des déjeuners communautaires: chacun apporte ce qu'il a et elle, elle cuisine. "Une stratégie de survie", observe-t-elle.

"C'est l'oeuvre des mains noires qui agissent dans l'ombre. Les gens de l'opposition disent qu'il faut ça pour qu'ils puissent prendre le pouvoir, mais tout le monde en souffre", ajoute-t-elle.

Pour elle, l'opposant Juan Guaido, autoproclamé président par intérim et reconnu par une cinquantaine de pays, est responsable du "sabotage" dont parle le chef de l'Etat.

"Il dit que le pire est encore à venir, que nous aurons d'autres surprises... Ces gens n'ont aucune conscience, ce sont des terroristes", poursuit-elle en rappelant que M. Guaido a prévenu que des "jours difficiles" s'annonçaient.

- "Viande pourrie" -

Un cochon de 80 kilos crée la surprise dans la boucherie où travaille Henry Sosa: il s'apprête à l'emporter chez lui dans le quartier de Guarenas, où l'électricité arrive encore par intermittence.

Pendant qu'il charge l'animal, il raconte avoir déjà perdu la moitié de sa marchandise. "Elle n'est même pas bonne à donner, qui va manger cette viande pourrie!" explique-t-il.

La panne géante permet aussi à certains de faire des affaires. Dans le quartier de El Cafetal, à Caracas, un camion vend des petits sacs de glaçons à trois dollars.

María Ribas et d'autres payent avec les devises que leur envoient les proches émigrés hors du pays. Selon l'ONU, ils sont 2,7 millions à avoir quitté le pays depuis 2015.

A côté, María Mendoza se dépêche de vendre les papayes et les pastèques qu'elle sera sinon bientôt obligée de donner. Résignée, elle annonce le prix, en baisse. "Au moins je ne perds pas tout mon investissement", soupire-t-elle en pestant contre "le sabotage et l'embargo des Etats-Unis".

Emportant sa glace, Maria Ribas commente ces "sacrifices" qui reflètent la réalité du Venezuela: "On est comme au Moyen-Age".

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