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Cuba face au défi d'unifier sa monnaie, coûte que coûte

Depuis 24 ans, les Cubains sont habitués à jongler avec deux monnaies nationales, un système unique au monde auquel les autorités sont décidées à renoncer, au risque de perturber la fragile économie de l'île.

Instituée en 1994, la dualité monétaire est la norme à Cuba, avec le peso cubain (CUP), utilisé pour les transactions strictement domestiques, et le peso convertible (CUC, égal au dollar américain, qui vaut entre 24 et 25 CUP) qui servait initialement à payer les produits et services importés.

Le gouvernement a annoncé ces dernières années son intention de renoncer à la double monnaie, mais cette réforme aussi cruciale que complexe a été plusieurs fois ajournée.

Fin 2017, le président Raul Castro a affirmé que le pays devait lancer ce chantier sans plus attendre, augurant d'une mise en oeuvre probable avant son départ fixé au 19 avril. Beaucoup d'observateurs estiment que la prochaine réunion du Comité central du Parti communiste cubain (PCC) en mars pourrait donner le coup d'envoi.

D'abord réservé au secteur touristique, le CUC s'est progressivement généralisé. Que l'on paie avec l'une ou l'autre des devises, "c'est la même chose, une bouteille d'huile a la même valeur. Maintenant on a tous le droit d'acheter en monnaie nationale (CUP) ou en CUC", détaille Marlen Leyva, retraitée de 68 ans.

Avec le CUC, l'Etat permet à ses entreprises d'importer à un taux de change préférentiel - un dollar pour un peso cubain -, alors que le billet vert est théoriquement vingt-cinq fois plus cher. C'est le ministère du Commerce extérieur qui compense ce subventionnement à peine déguisé.

Une distorsion qui permet aux entités étatiques d'assurer leurs marges tout en proposant à la population des tarifs accessibles, dans un pays où le salaire moyen avoisine les 30 dollars.

La double monnaie a permis d'affronter les déséquilibres de la crise des années 1990, consécutive à la chute du bloc soviétique, puis a facilité l'entrée de devises.

Mais l'économie cubaine, qui vient de renégocier l'essentiel de sa dette publique, doit aujourd'hui retrouver crédibilité et lisibilité.

"La dualité monétaire engendre des difficultés pour évaluer l'économie et la compétitivité", explique à l'AFP l'économiste Omar Everleny Perez, invoquant une relation compliquée avec les marchés internationaux, déjà entravée par l'embargo américain imposé depuis 1962.

- 'Réforme graduelle' -

Depuis 2014, dans la foulée des premières réformes d'ouverture à l'économie de marché lancées par Raul Castro, économistes cubains et étrangers planchent sur le moyen de mettre fin à ce système tout en limitant son impact sur une économie encore étatisée à 85%.

Le maître d'oeuvre de la réforme, Marino Murillo, a déjà annoncé que "le peso cubain deviendrait la monnaie officielle et que le peso convertible serait éliminé graduellement", sans plus de précisions. Plusieurs économistes préconisent de réformer le secteur étatique avant de généraliser la monnaie unique. Depuis deux ans, circulent de nouveaux billets de 200, 500 et 1.000 CUP pour simplifier les transactions.

Omar Everleny Perez souligne que le secteur privé, certes encore embryonnaire, travaille déjà depuis des années avec un taux de 1 pour 25: "On peut penser qu'on ne sera pas loin de ce taux" après l'unification.

Théoriquement, les entreprises d'Etat devront alors importer à un taux de change "normal", mais beaucoup d'économistes estiment que La Havane ne disposerait pas de réserves de devises suffisantes pour les préserver.

A l'inverse, dans le nouveau système, les quelques entreprises cubaines exportatrices recevraient davantage de pesos cubains, et pourraient compenser en partie l'impact sur l'économie.

"Les secteurs qui en bénéficient pourraient être en position de payer de meilleurs salaires, mais les entreprises pénalisées devraient fermer ou fusionner", prédit l'éminent économiste Pavel Vidal.

Et la crainte d'une hausse des prix pourrait provoquer un phénomène de sur-demande, difficile à satisfaire sur une île qui importe 80% de ce qu'elle consomme, estime M. Perez, anticipant des déséquilibres à court terme.

Une perspective inquiétante alors que la "libreta", le carnet de rationnement historique, ne couvre déjà plus les besoins mensuels d'une famille.

Pour M. Perez, il est indispensable de soutenir cette réforme par une ouverture accrue aux investissements étrangers et au secteur privé, afin de stimuler afflux de devises et augmentation du pouvoir d'achat.

"Si (des entreprises étrangères) se sont déjà positionnées, c'est qu'elles ne se soucient pas vraiment de l'embargo américain", argumente l'économiste.

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