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Dans le désert marocain, des pilotes sur les traces de Saint-Exupéry

"Je serai pilote, Inch'allah", confie toute fière Hiba, 12 ans, avant son baptême de l'Air depuis la piste de sable de Tarfaya, dans le désert marocain. Cette escale mythique de l'Aéropostale aurait inspiré à Saint-Exupéry son célèbre Petit Prince.

Derrière elle, le bruit vrombissant des moteurs rythme le ballet continu des avions qui atterrissent. Une poignée d'enfants se massent près des barrières, dans l'espoir d'approcher les Cessna, Piper et autres Robin.

Le temps d'une journée, cette petite ville portuaire perdue le long de la côte atlantique recouvre ses amours aéronautiques en accueillant le Raid Latécoère-Aéropostale: un rallye aérien reliant Toulouse à Dakar qui célèbre cette année le centenaire de la Ligne.

C’est ici -le lieu se nommait alors Cap Juby- qu’Antoine de Saint-Exupéry fut chef d'escale entre 1927 et 1929, entre un fortin espagnol surplombant l'océan et les dunes ocre du Sahara. Dans ce décor aride et dépeuplé, il écrit "Courrier Sud" et puise, selon nombre de ses exégètes, l’inspiration de son Petit prince.

"J'ai toujours aimé le désert", écrit le narrateur de ce conte au succès mondial. "On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et, cependant, quelque chose rayonne en silence".

Près d'un siècle plus tard, on peut à nouveau entendre le crépitement des pneus sur le sable caillouteux de la piste, exceptionnellement remise en service pour les 60 équipages du rallye.

- "Bédouins de l'air" -

En quelques minutes, des pilotes en combinaison installent deux enfants aux commandes. Pédagogues, ils présentent le tableau de bord, détaillent les principes du vol, expliquent le fonctionnement du manche. Quelques enfants ont droit à un tour dans les airs.

En bout de la piste, un vieil aéronef semble attirer la lumière. Passionnés et néophytes immortalisent le Broussard, imposant monoplan à ailes hautes dont l'hélice charrie un nuage de poussière.

Puis les regards se lèvent pour l’arrivée du dernier avion: pour la première fois, Hervé de Saint-Exupéry, arrière petit-neveu de l’écrivain et sa fille Albane, 19 ans, se posent à Tarfaya.

"On est fiers d’être ici. Avec l'idée qu’il faut continuer d’agir pour créer du lien intergénérationnel", lance ce pilote professionnel devant la petite foule venue l'accueillir.

"C’était un moment historique", s'enthousiasme Sadat Shaibata, président de l'association des amis de Tarfaya. "En les voyant descendre de l’avion, c’est comme si je voyais Saint-Ex."

"Après une série de déceptions, Antoine de Saint-Exupéry arrive ici avec une soif de revanche", rappelle à l’AFP Abel Sevellec, spécialiste de la philosophie de l’auteur. "Il s’y révèle complètement, grâce à son sens de la diplomatie et du contact humain."

Chargés d’acheminer le courrier, l’aviateur et ses pairs -dont Jean Mermoz- passent de longues heures à combler l’ennui et la solitude au contact des tribus locales. "Ils étaient des bédouins de l’air venus rencontrer des bédouins de la terre", glisse Sadat Shaibata.

Mémoire vivante des lieux, cet homme jovial assure avec émotion qu'"en 100 ans, rien n’a changé". "Le désert est toujours accueillant, c’est une bonne chose pour les relations franco-marocaines", relève-t-il en saluant les pilotes qui se voient offrir thé à la menthe et gâteaux aux amandes.

- "Nouvelle génération" -

Aujourd’hui, les amis de Tarfaya se réjouissent de voir "une nouvelle génération de pionniers". "L’Aéropostale continue de forger ce lien entre deux continents, deux façons de vivre différentes", confirme Jean-Michel Secondy, 53 ans, membre du premier équipage "100% handi" dont l’avion a été spécialement aménagé.

Pour tous, Cap Juby reste une escale légendaire dans ce périple aérien de 4.000 km aux multiples paysages: les vastes plaines espagnoles, la terre rouge et les oueds boueux du Maroc, des barques de pêcheurs abandonnées sur des plages, les côtes aux eaux turquoise de Mauritanie rongées par l'érosion et la végétation luxuriante du Sénégal.

Mais la "transmission" sur laquelle le Raid entend mettre l'accent dépasse le simple cadre aéronautique. Tout au long du parcours, les aviateurs prennent part à des actions solidaires, éducatives et culturelles dans des écoles ou des associations.

Ce soir là, au crépuscule, une trentaine de joueurs font courir leurs silhouettes derrière un ballon pour le traditionnel match de football entre pilotes et Tarfaouis. Et une fois la nuit tombée, un festin est servi sous un grand bivouac autour d’un feu de camp.

"Il y a des liens invisibles qui se forgent", lance Abel Sevellec, ajoutant dans un sourire: "Comme disait Saint-Exupéry, c’est cela qui donne un sens aux choses."

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