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Mediator: amendes contre le groupe Servier et prison ferme requises

Pour sanctionner le "choix cynique" d'un laboratoire ayant privilégié "ses intérêts financiers", le parquet de Paris a requis mardi soir plus de 8 millions d'euros d'amende contre le groupe Servier et de la prison ferme contre son ex-numéro 2, jugés dans l'affaire du scandale sanitaire du Mediator.

A l'encontre de l'Agence de sécurité du médicament, poursuivie pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator en dépit d'alertes répétées sur sa dangerosité, l'accusation a demandé une amende de 200.000 euros.

Au terme d'un exposé de plus de huit heures, la procureure Aude Le Guilcher a appelé le tribunal correctionnel à sanctionner des fautes d'une "extrême gravité", dix ans après la révélation de l'affaire, l'un des pires scandales sanitaires français.

Prescrit à environ cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, le Mediator - présenté comme un adjuvant au traitement du diabète mais largement détourné comme coupe-faim - est tenu pour responsable de centaines de décès.

Il n'a été retiré du marché qu'en novembre 2009, alors que de premières alertes sur sa dangerosité ont été émises dès 1995 et que de premiers cas de graves maladies cardiaques ont été signalés en France en 1999.

La firme pharmaceutique "a fait délibérément le choix, cynique, de ne pas prendre en compte les risques qu'elle ne pouvait ignorer" et a "fait le sinistre pari que ces risques seraient minimes en termes de patients atteints", a vilipendé Aude Le Guilcher.

"Votre jugement, par les lignes rouges qu'il va tracer, doit contribuer à restaurer la confiance trahie par un laboratoire qui a fait passer ses intérêts financiers avant l'intérêt des patients", a lancé la représentante de l'accusation.

Ces réquisitions ont toutefois déçu l'un des avocats des parties civiles, Charles Joseph-Oudin, qui y a vu "une incitation à recommencer", le total des amendes correspondant "à moins d'un tiers d'une année de chiffre d'affaires" du Mediator.

Il avait suggéré au tribunal de prononcer une interdiction d'exercer en France à l'encontre de Servier, une option rejetée par Aude Le Guilcher parce qu'elle aurait eu "pour conséquence de sanctionner les salariés".

- Peines d'amende maximales -

Elle a requis les peines d'amende maximales de 1,85 million d'euros chacune à l'encontre de la maison-mère du groupe et contre la société Les Laboratoires Servier, poursuivies notamment pour "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires".

Le parquet a également demandé des amendes totales de 4,5 millions d'euros contre quatre autres sociétés du groupe. Ces peines représentent au total un montant de 8,2 millions qui n'inclut pas les plus de 1 million d'euros de contraventions connexes requises pour des blessures involontaires légères.

Contre Jean-Philippe Seta, l'ancien bras droit de Jacques Servier, le tout-puissant patron décédé en 2014, l'accusation a réclamé cinq ans d'emprisonnement dont deux ans assortis de sursis et 200.000 euros d'amende.

Tout au long de son réquisitoire, la procureure a dénoncé les "manipulations, dissimulations, manœuvres" du groupe pour "dissimuler" les propriétés anorexigènes du Mediator et maintenir "coûte que coûte" ce produit, remboursé par l'assurance-maladie.

Le groupe et son ancien numéro 2 s'en sont toujours inlassablement défendus, arguant qu'il n'y avait pas eu de "signal de risque identifié" avant 2009.

L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), jugée pour "homicides et blessures involontaires" par négligence, avait assumé à l'audience une "part de responsabilité" dans le "drame humain" du Mediator.

Pour la procureure, elle a "gravement failli dans sa mission de police sanitaire" en ne se donnant pas "les moyens de percer le flou et le brouillard entretenu pendant des années par les laboratoires Servier", accusés d'avoir preuve d'une "grande créativité dans l'art de l'enfumage".

Ce procès "hors norme" s'est ouvert le 23 septembre, dix ans après la révélation du scandale par la pneumologue Irène Frachon.

Un milliard d'euros de dommages et intérêts ont été réclamés au total par les parties civiles, dont près de la moitié par les caisses d'assurance-maladie.

Le réquisitoire se poursuit mercredi dans le volet conflits d'intérêts, pour lesquels sont poursuivis plusieurs anciens responsables et experts des autorités de santé.

Le procès concerne essentiellement les faits de "tromperie aggravée", l'instruction pour "homicides et blessures involontaires" étant toujours en cours.

Fin du procès prévue le 6 juillet. Jugement attendu en 2021.

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