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En Iakoutie, la Russie creuse le permafrost à la recherche de diamants

Creusés à coups d'explosifs dans les sols gelés de Sibérie, des trous abyssaux de plusieurs centaines de mètres recèlent les immenses gisements de diamants qui assurent à la Russie la suprématie dans les vitrines des joailliers du monde entier.

Début juillet, le thermomètre affiche plus de 30 degrés Celsius dans la petite ville de Mirny, dans la vaste région de Iakoutie. Le soleil, qui ne se couche que quatre heures par jour, brille presque en permanence.

Cela ne saurait durer: la région est réputée pour connaître les plus froids hivers de la planète, qui durent neuf mois.

Ses sols sont couverts en grande partie par le permafrost, une couche minérale saisie par la glace toute l'année mais qui se réduit ces dernières années sous l'effet du réchauffement climatique. Elle abrite onze des douze mines russes du groupe Alrosa, premier producteur mondial de diamants bruts (36,7 millions de carats en 2018).

Détenue à majorité par les pouvoirs publics (Etat et collectivités locales), l'entreprise revendique plus du quart du marché mondial.

Le directeur du centre de tri des minerais de l'entreprise, Oleg Popov, montre une table de billard parsemée de petites pierres brillantes: "Il y a en tout 14.000 carats, cela vaut environ 9 millions de dollars".

"Chaque pierre doit être triée par taille, il faut être très attentif", affirme Irina Senioukova, penchée dans la salle de tri avoisinante.

Avant ce travail de fourmi qui permettra aux joailliers d'ornementer les bijoux vendus à Shanghai ou New York, une tâche titanesque est nécessaire pour extraire les diamants du sol sibérien.

- -55°C en hiver -

A Mirny, un trou béant est visible en pleine ville: la mine désaffectée de Mir, de plus d'un kilomètre de diamètre et 525 mètres de profondeur, soit près de deux tours Eiffel mises bout à bout.

La ville de 35.000 habitants (la plupart employés par Alrosa) est née après la découvert des premiers diamants au milieu des années 1950. La mine a été exploitée en surface jusqu'en 2001. Creusée ensuite en souterrains, elle est à l'arrêt depuis 2017, quand une inondation a fait huit morts.

Avant une éventuelle remise en marche dans plusieurs années, l'activité se poursuit plus de 200 kilomètres plus au nord, sur le site de Niourba au milieu de la taïga. Alrosa y opère deux mines à ciel ouvert, dont l'exploitation est prévue pour durer jusqu'en 2041, et en prépare une troisième.

La plus active, Botouobinskaïa, n'est profonde que de 130 mètres pour l'instant mais elle doit atteindre 580 mètres.

La température descend jusqu'à -55 degrés l'hiver, nécessitant un recours accru aux explosifs pour extraire les diamants.

"L'homme s'adapte à tout, la plupart des mineurs sont natifs de la région, ils connaissent bien ce climat. Cela a plutôt un impact sur nos machines, mais elles sont adaptées aux conditions extrêmes", assure Mikhaïl Diatchenko, chef adjoint du site, debout au bord du précipice, casque vissé sur le crâne.

L'activité inquiète parfois les habitants de cette région, plusieurs centaines d'entre eux signant récemment une pétition protestant contre le rejet d'eaux usées dans la rivière locale, que l'entreprise a démenti.

- Vols secrets -

Les mineurs travaillent 24 heures sur 24, pour extraire chaque jour des dizaines de milliers de tonnes de matériaux, ensuite triés en usine pour séparer la kimberlite, la roche contenant des diamants, du reste.

Après le tri, les diamants bruts sont transportés dans des vols secrets, soit pour être vendus tels quels soit vers des centres de polissage. Le tout sous haute sécurité, a fortiori depuis le démantèlement en juin d'un petit gang d'employés ayant subtilisé trois milliards de dollars de diamants.

Les mineurs, exclusivement des hommes, viennent majoritairement de la région mais aussi de toute la Russie. Acheminés en avion ou en hélicoptère, ils travaillent onze heures par jour pendant deux semaines, alternant avec deux semaines de repos.

Alrosa a mis au point un programme pour employer des hommes des peuples nomades de la région qui vivent à l'origine de l'élevage de rennes. "Certains conduisent les gros camions, par exemple", explique Dmitri Averianov, le responsable des véhicules qui arpentent les mines.

Les emplois dans les mines sont prisés: ils sont rémunérés le double du salaire moyen de la région de Iakoutie. A près de 1.000 euros mensuels, ce dernier est déjà le plus élevé de Russie, selon les statistiques officielles.

Les sols de Iakoutie regorgent d'autres richesses (pétrole l'argent, or) mais son budget reste à 40% tributaire des impôts payés par Alrosa.

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