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Entre dilemme moral et tentation des antipodes, le mouvement anti-avion tente de décoller

Que faire quand on ne prend plus l'avion par souci de l'environnement, et que l'on se voit offrir une bourse pour étudier aux antipodes? Et pourquoi faire Londres-Pékin en train quand voler est moins cher? Entre dilemme moral et considérations économiques, le mouvement anti-avion tente de décoller.

Fausta Gabola, étudiante franco-italienne installée à Paris, a reçu une bourse pour étudier en Australie. Problème: depuis un an, elle a décidé de ne plus prendre l'avion.

"Je rêve d'y aller. J'ai postulé sans vraiment y réfléchir, et maintenant c’est un dilemme. J'aurais l’impression d’être hypocrite si j’y allais", confie-t-elle.

#flyingless, #stopflying, stayontheground... Autant d'appels à boycotter l'avion relayés sur les réseaux sociaux. Ils dénoncent la pollution induite par le trafic aérien: selon l'agence européenne de l'environnement, sur un kilomètre, un passager en avion émet 285 grammes de C02, contre 158 en voiture, et 14 en train.

- "Honte de voler" -

Pour Roger Tyers, chercheur en sociologie environnementale à l'université de Southampton, le choix est fait: il va effectuer un aller-retour Londres-Pékin cet été... en train.

L'objectif de son voyage : savoir comment les Chinois envisagent la lutte contre le dérèglement climatique. "J'ai dû batailler avec l'université, qui finance mon trajet. L'aller coûte 2.000 livres (2.300 euros), contre 600 par avion, sans compter l'administratif comme le visa", raconte-t-il.

Il a mis "plusieurs mois" à préparer son trajet: une dizaine de trains et 12 jours à l'aller comme au retour, pour un mois sur place.

Le mouvement est particulièrement fort en Suède, où la mobilisation autour de la "honte de voler" ("flygskam"), a poussé le gouvernement à investir 50 millions de couronnes (4,8 millions d'euros) pour des trains de nuit pour "simplifier les voyages" tout en respectant au mieux l'environnement.

"Mon premier voyage en train, Stockholm-Paris, en famille avec mes enfants de 2 et 4 ans s'est super bien passé. On est tellement habitué à prendre l'avion que l'on se fait une montagne de prendre le train, on imagine que c'est horrible alors que pas du tout", relate Isabelle Letellier, professeure de sciences de l'éducation à l'université de Stockholm.

Il n'empêche, le nombre de passagers aériens au cours des neufs premiers mois 2018 en Suède a augmenté de près de 2% par rapport à la même période en 2017, selon Eurostat. Et au niveau mondial, l'Association du transport aérien international estime que le nombre de passagers pourrait doubler d'ici 2037.

"Contrairement à d'autres gestes écologiques, il n'y a pas de substitut facile à l'avion. Si on ne veut plus manger de viande, on peut devenir végétarien. Mais aller au bout du monde sans avion, ce n'est pas possible", constate Mathilde Szuba, maître de conférence en sciences politiques à Sciences Po Lille.

"L'avion reste une consommation des catégories sociales supérieures. Prendre des vacances sur un autre continent est une marque de distinction sociale", poursuit-elle.

En France, 49% des voyages sont pour des vacances ou des loisirs, d'après l'enquête nationale auprès des passagers aériens de 2017 de la direction générale de l’Aviation civile, contre 28% pour des motifs professionnels, et 22% privés (visite à des amis, de la famille).

- Rendre l'avion moins attractif -

Autre raison de la dépendance à l'avion: le coût et la rapidité, même sur des petites distances. "Les offres low cost en Europe sont hyper tentantes", reconnaît Vincent Ospital, un consultant informatique parisien. Il a décidé de ne plus prendre l'avion en septembre, quand l'ancien ministre de l'Environnement d'Emmanuel Macron, Nicolas Hulot, a démissionné avec fracas, y voyant un signe de l'incapacité du pouvoir politique à faire face à l'urgence climatique.

Sur les vols nationaux, "c'est disproportionné d'émettre autant de carbone pour gagner deux ou trois heures", juge pour sa part Mathilde Szuba.

En Allemagne, le député écologique Dieter Janecek a proposé de limiter à trois le nombre d'allers-retours en avion par an et par personne. Robert Habeck, co-président des Verts, a lui déclaré au journal allemand Die Welt: "nous n'avons pas besoin de vols entre des villes qui peuvent être reliées par train aussi rapidement".

Autre solution, rendre les prix dissuasifs via la fiscalité. "Au-delà du kérosène, toujours non taxé aujourd'hui (en France), il est possible d'augmenter largement les taxes à l'aéroport" plaide Jean-Marc Jancovici. Ce Français, ingénieur consultant en énergie, a décidé de limiter au maximum ses déplacements en avion.

"Si on veut baisser le réchauffement, on doit accepter les conséquences. Pour l’instant on est dans l’incohérence absolue."

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