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Entreprises: mesures de sûreté pour faire des affaires en zone de conflit

Recrutement d'anciens "grands flics", procédures d'exfiltration d'employés menacés, protection des sites... Les grandes entreprises françaises ont pris des mesures, pilotées au plus haut niveau, pour pouvoir continuer à fonctionner dans des régions dangereuses.

Et ce, sans attendre l'affaire Lafarge. Le cimentier français est soupçonné d'avoir financé indirectement de 2011 à 2015, des organisations jihadistes en Syrie, y compris l'organisation Etat islamique (EI), pour s'y maintenir malgré la guerre.

Le groupe, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, a toujours affiché la sécurité de ses équipes comme une "priorité". Mais selon une enquête de l'AFP, parmi les nombreux employés enlevés, un a été tué et un autre reste porté disparu.

"Cela n'a pas réellement changé les choses car la plupart des entreprises du CAC 40 sont dotées des directions sûreté, qui d'un strict point de vue de l'éthique et de la conformité n'auraient jamais laissé leurs collaborateurs opérer dans ces conditions en zone de guerre", affirme Alexandre Hollander, président d'Amarante International, société spécialisée dans la sécurité des organisations. "En général, quand il y a un conflit, les entreprises privées plient bagage".

Selon Olivier Hassid, directeur de l'activité Conseil en sécurité et sûreté chez PwC, "très peu" d'entreprises françaises opèrent en effet en zone de guerre, et cela concerne essentiellement les sociétés des secteurs de la défense ou de la construction.

En revanche, elles sont plus nombreuses à travailler dans des "zones sensibles", que ce soit dans le secteur pétrolier, minier, ou encore maritime. "La plupart des entreprises industrielles du CAC 40 sont implantées dans des zones exposées à un niveau de risque élevé, en raison de menaces terroristes ou d'une forte criminalité", déclare M. Hollander.

Et celles-ci "n'ont pas attendu l'affaire Lafarge pour mettre en place des mesures", indique Bertrand Monnet, professeur à l'école de commerce Edhec, où il occupe la chaire de management des risques criminels.

Tous les grands groupes se sont dotés de directeurs de la sûreté, souvent recrutés après avoir eu une première vie dans les rangs des forces de l'ordre. Total a par exemple fait appel aux services de l'ancien directeur de la gendarmerie nationale Denis Favier, tandis que le leader mondial de la gestion de l'eau et des déchets Veolia a recruté l'ancien chef du RAID, l'unité d'élite de la police nationale, Jean-Louis Fiamenghi.

- Incertitudes -

Dans ces sociétés, la procédure consiste à adopter des lignes directrices en interne, à informer les salariés, à mettre en place des mesures de protection des sites industriels et des collaborateurs à l'étranger. Le tout accompagné d'un volet de gestion de crise pour pouvoir exfiltrer rapidement les personnels si nécessaire.

"On est dans une logique de moyens renforcés, et non d'efficacité totale", impossible à garantir, explique Olivier Hassid.

"Accepter de travailler dans ces zones de conflit, c'est aussi accepter une forme d'incertitude sur la connaissance qu'on peut avoir de nos partenaires, l'incertitude sur ce qui peut se passer ou pas", observe un homme d'affaires travaillant dans ce type de régions. "Tout n'est pas prévisible mais aussi inversement il y a certains seuils au-delà desquels il faut se désengager, et c'est ça qui est très compliqué", ajoute-t-il.

C'est la raison pour laquelle l'échelon le plus haut de la direction doit "absolument être impliqué" sur ces questions, qui dépassent le seul aspect de la sûreté, estime Bertrand Monnet, soulignant toutefois que ce n'était pas toujours le cas.

C'est en effet au directeur général, comptable devant les actionnaires, de décider d'aller ou pas sur tel ou tel marché, et non au directeur de la sûreté.

Par ailleurs, "la seule solution pour réduire le risque d'être rejeté dans ces zones-là est d'associer son environnement socio-économique local", explique-t-il.

Cela consiste à alphabétiser si nécessaire les populations locales, à leur donner des qualifications professionnelles et à les employer, ou à contribuer de manière générale à la vie économique locale. Or, cette stratégie - employée par de grandes multinationales telles que le fabricant français de pneus Michelin ou la compagnie minière anglo-australienne Rio Tinto- ne peut être encore une fois décidée que par la direction de l'entreprise.

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