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Face à la "bataille perdue" du portable en prison, l'ambitieux chantier de la chancellerie

"Les portables en prison, c'est une bataille perdue", estime un cadre de la pénitentiaire. Pour contrer la prolifération, la chancellerie a lancé simultanément deux grands chantiers: le brouillage des communications mobiles et l'installation de 50.000 téléphones fixes dans les cellules.

La maison d'arrêt parisienne de la Santé, qui rouvrira ses portes le 7 janvier après quatre ans de travaux, fera figure de pionnière de ce dispositif dont l'installation va s'échelonner jusqu'en 2022, a-t-on indiqué à la Direction de l'administration pénitentiaire (DAP).

En 2017, un nouveau record a été battu: 40.067 téléphones et accessoires ont été saisis dans les 180 prisons françaises qui comptaient en fin d'année près de 70.000 détenus, contre 33.521 l'année précédente pour environ 68.000 détenus.

Dix ans plus tôt, en 2007, les agents pénitentiaires avaient saisi 4.977 téléphones et accessoires pour près de 62.000 détenus.

Pour la DAP, cette hausse constante s'explique à la fois parce que "le nombre de détenus ne cesse d'augmenter", qu'il y a "plus de téléphones en circulation" et aussi parce qu'"ils sont mieux repérés".

Les appareils entrent facilement en prison, par projection dans les cours de promenade ou via les parloirs, et circulent à la faveur de divers trafics: "Certains contiennent très peu de métal et sont pratiquement indétectables", ont expliqué à l'AFP des surveillants.

Le phénomène est amplifié par les fuites d'images prises en détention, qui font fureur sur les réseaux sociaux: selfies, témoignages de détenus luttant contre la canicule, vidéo laissant deviner un rapport sexuel entre surveillante et détenu... Plus récemment, la diffusion d'images du rappeur Kaaris, incarcéré à Fresnes (Val-de-Marne) après une rixe avec son rival Booba.

Pour Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO-Pénitentiaire, "le brouillage est essentiel: la radicalisation, la préparation d'évasions, et surtout, les trafics passent par les réseaux".

- "Monter en puissance" -

Or actuellement, on compte 804 brouilleurs en prison dont seuls 10% sont effectifs, rendus très vite obsolètes par les évolutions technologiques.

Pour faire face, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé en janvier d'une part le déblocage d'une enveloppe de 15 millions d'euros dès cette année pour "garantir un brouillage effectif" des portables et d'autre part l'installation de 50.000 téléphones fixes en cellule, pour ne pas couper les détenus de leurs proches.

"Les détenus pourront téléphoner uniquement aux numéros ayant fait l'objet d'une validation préalable et un dispositif d'écoute et d'enregistrement des conversations est prévu par le marché", a-t-on précisé à la DAP, soulignant qu'aucun téléphone ne serait installé dans les quartiers disciplinaires ou d'isolement.

C'est la société française SAGI.fr qui a remporté l'appel d'offres pour le brouillage, pour une période de 6 ans. "Les premières études d'installation ont été engagées en 2018 sur plusieurs sites pilote prioritaires", a-t-on indiqué mardi à la DAP.

Le déploiement va se poursuivre et "monter en puissance", avec un budget provisionnel passant à près de 20 millions d'euros pour 2019 et jusqu'à 35,5 M EUR pour 2022.

Parallèlement, une concession de service public sur la téléphonie fixe a été accordée pour dix ans à Telio, un des leaders européens du secteur.

Après une expérimentation jugée "très positive" à la prison de Montmédy (Meuse) en 2016 et 2017, où l'installation des téléphones fixes a fait "baisser les tensions" et le nombre de saisies de portables, le gouvernement a validé la projet, réclamé depuis des années par les associations de soutien aux détenus.

L'entreprise financera l'intégralité de l'investissement et se rémunérera par le prix des communications payées par les détenus. Le coût d'un appel vers un fixe s'élèvera à 0,08 euro par minute - soit 2,4 euros pour une demi-heure - et à 0,18 euro vers un portable: "des prix significativement moindres que ceux pratiqués actuellement", souligne la DAP.

Selon l'Observatoire international des prisons, l'appel est actuellement facturé entre 60 et 80 centimes la minute. A la prison de Réau (Seine-et-Marne), un détenu avait calculé que téléphoner quelques minutes par jour à sa famille lui coûtait près de 150 euros par mois, une somme dont il ne dispose pas en détention, même s'il effectue quelques travaux rémunérés.

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