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Ford-Blanquefort: entre hâte "d'en finir" et espoir de "sauver un bout d'usine"

A l'usine de Ford-Blanquefort, dont le gouvernement a entériné lundi la fermeture l'été prochain, monte chaque jour un peu plus l'envie "d'en finir", prendre les sous ou tourner la page pour rebondir, même si les syndicats se cramponnent à l'espoir de "sauver un bout d'usine".

A l'assemblée générale mardi, au moment où équipes du matin (6H-14H) et du soir (14H-22H) se croisent devant les portillons d'entrée, les syndicats, Philippe Poutou en tête, ont bien du mal à attiser la colère de collègues "un peu raplaplas, mais on les comprend, depuis le temps que ça dure...".

Que faire ? Une grève, bloquer l'usine, quitte à "abîmer un peu" les choses, pour mettre la pression sur Ford, tenter d'améliorer le PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) ? "Ca veut dire un conflit social, une mobilisation, quelque chose qu'on n'a pas été capable de faire jusqu'ici. La question est posée", lance le délégué CGT, un brin amer. "Sinon, le plus simple c'est qu'on va recevoir nos lettres de licenciement, et chacun va galérer dans son coin".

Car tout va s'accélérer. Après validation --sauf cataclysme-- du PSE par la Direction du travail (Direccte), les éligibles à la pré-retraite (400 environ sur plus de 800 employés) seront convoqués la semaine prochaine aux Ressources humaines pour discuter de leur situation. D'autres, une fois le PSE validé, lanceront officiellement leur reclassement, même si des réunions ont déjà eu lieu avec le cabinet. Mais pour "100, 150 peut-être", loin de la retraite et difficilement reclassables, cela va être "très compliqué".

Dans l'AG d'environ 150 personnes, sous un soleil qui préfigure ironiquement fin août, quand l'usine fermera pour de bon, le désabusement le dispute à l'amertume. Un conflit ? "Alors qu'on nous a toujours demandé d'être +sages+ pour le soi-disant repreneur ?", fuse une question.

- "On prend, on s'en va" ?-

"Ce n'est pas quand la messe est dite, qu'on commence à se mettre au latin", lance un syndicaliste FO. Pour son secrétaire Eric Troyas, le personnel "a basculé graduellement, mais depuis longtemps, pour accepter le PSE. +On prend, on s'en va+. C'était 50% au départ, 70% il y a quelques mois, aujourd'hui je dirais, 90% ou plus se sont mis dans la tête de partir".

Pour beaucoup, la messe est dite depuis longtemps. D'emblée la moitié ne croyaient pas en Punch Powerglide --"on a nos sources, on connaissait le passé du +Bernard Tapie belge+", dit un salarié à propos de Guido Dumarey, l'industriel derrière Punch. Et pour Laurent, technicien de 40 ans qui se dit "positif, déjà prêt dans (sa) tête à rebondir", les syndicats "s'accrochaient à une branche à moitié coupée".

"On a l'impression d'un jeu de dupes, un multiple jeu de comm'", médite-t-il. "L'Etat veut pouvoir dire qu'il a mis la pression sur Ford ou l'a dénoncé, Punch doit pouvoir dire qu'il a fait son offre de reprise, et les syndicats doivent pouvoir dire qu'ils se sont battus jusqu'au bout".

Car il y a des choses --oui à une fermeture- qu'un syndicat ne peut pas dire, ou "pas n'importe comment". Alors la CGT, qui organise samedi un concert de soutien (avec Cali, Balbino Medellin), va continuer de se battre pour "qu'un bout d'usine soit sauvé". Avec le seul "tout petit bénéfice" sorti de la réunion de Bercy lundi: la création d'un groupe de travail avec collectivités territoriales, Etat, syndicats, pour plancher sur l'avenir du site. Après Ford.

Groupe de travail, "le nom fait peur à tout le monde", mais c'est pour Philippe Poutou le seul espoir de voir un industriel venir réimplanter une forme d'activité sur site, et sauver "quelques centaines d'emplois, le plus possible". "Réquisition, nationalisation temporaire ou partielle, ils appellent ça comme ils veulent", mais "cela passe par des décisions politiques, de l'Etat", pour "garder les machines, empêcher Ford de vider l'usine".

Peu y croient, parmi l'équipe du matin qui se disperse sur l'immense parking. Après encore une journée à "faire semblant de travailler", ou "penché sur son téléphone" dans l'usine au ralenti --280 boîtes de vitesse produites par jour. Oui, peut-être, "psychologiquement, il est temps que ça finisse", souffle Laurent.

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