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A Damas, l'après-guerre en panne sèche pour les taxis

Abou Sammy sort de sa voiture, qui s'est immobilisée après un dernier soubresaut, et avec l'aide d'un passant se met à la pousser jusqu'à la pompe à essence la plus proche.

"C'est vraiment épuisant", se plaint le chauffeur, à bout de nerfs, après avoir tenu le volant d'une main pour rejoindre une longue file de voitures, dans l'est de Damas.

L'Etat syrien a fixé un plafond pour la consommation quotidienne de carburant subventionné, un nouveau coup dur pour une population qui voit les pénuries succéder à l'insécurité.

Pour Abou Sammy, la période des pannes sèches survient après un hiver passé dans les files d'attente pour se procurer de quoi alimenter les gazinières et les chaudières.

"Faire la queue, c'est notre destin", ironise-t-il, désormais assis dans son taxi aux abords d'une station-service du quartier de Zablatani.

"Après le gaz de cuisine, c'était le mazout. Après le mazout, c'est l'essence. Qu'est-ce que ça sera demain? On n'en sait rien", lâche-t-il, fataliste.

Le régime de Bachar al-Assad, avec l'aide de la Russie, a reconquis une large part des territoires dont divers groupes rebelles avaient pris le contrôle au début de la guerre, y compris autour de la capitale.

Mais alors que le pays reste morcelé et en ruines, il dénonce un "siège économique" en raison des sanctions, visant notamment les importations d'hydrocarbures, imposées par les Etats-Unis et l'Union européenne depuis le début de la guerre en 2011.

- "Loin d'être assez" -

Le ministère du pétrole et des ressources minières a annoncé samedi une réduction de moitié du quota journalier d'essence subventionnée, de 40 à 20 litres par véhicule.

Lundi soir, les pompistes syriens ont reçu pour instruction de fermer un peu plus les robinets en n'octroyant que 20 litres tous les deux jours.

A Damas, agglomération d'environ cinq millions d'habitants, les files de voitures s'allongent désormais un peu plus chaque jour à proximité des stations-service.

Abdu Masrabi regarde anxieusement le pistolet de la pompe qui remplit le réservoir de sa Dacia jaune, en attendant que la gâchette se détende dans ses doigts et lui annonce que son quota est atteint.

"C'est loin d'être assez", grogne le chauffeur de taxi de 67 ans à la barbe grisonnante, interviewé par l'AFP avant même la mesure de lundi.

"Ce taxi est mon outil de travail, je le conduis toute la journée", dit-il après avoir passé quatre heures à faire la queue pour obtenir le précieux liquide.

La pénurie l'empêche de prendre tous les passagers qu'il souhaite et représente une importante perte de revenus.

"Si j'arrête de travailler, je ne pourrai plus nous nourrir, mes enfants et moi", dit-il.

Le ministre du pétrole, Ali Ghanem, a tenté de rassurer la population lundi en insistant sur le fait que le quota mensuel de carburant subventionné restait inchangé à 200 litres.

Il a expliqué, durant une tournée des stations-service de Damas, que la nouvelle mesure visait à réguler la distribution et "permettre au plus grand nombre possible de citoyens de faire le plein".

Parmi les automobilistes de la capitale, la plus grande crainte est que le quota mensuel de carburant subventionné ne baisse à son tour.

Le Premier ministre Emad Khamis a affirmé samedi qu'il serait normal de ne pas subventionner plus de 120 litres mensuels, la consommation moyenne en Syrie selon lui.

"C'est ça la quantité qui devrait être subventionnée (...) au-delà de quoi les tarifs normaux seront appliqués", a-t-il déclaré.

- "Guerre économique" -

Avant la guerre, le pays bénéficiait d'une relative autonomie énergétique, mais son secteur pétrolier et gazier a subi depuis 2011 des pertes estimées par les autorités à 74 milliards de dollars, alors que les principaux champs pétroliers échappent toujours au contrôle de Damas.

L'embargo pétrolier imposé par les Occidentaux à la Syrie affecte en outre beaucoup de Syriens restés loyaux au régime après l'éclatement du conflit et qui aimeraient aujourd'hui retrouver un semblant de normalité.

En novembre, le Trésor américain avait menacé d'imposer de nouvelles restrictions à l'encontre d'entités impliquées dans des transactions pétrolières avec Damas.

"La guerre n'est pas encore terminée et nos ennemis tentent déjà de rattraper leurs défaites politiques et militaires au moyen d'une guerre économique," a accusé le Premier ministre Emad Khamis.

L'allié russe de Damas a demandé aux Européens et aux riches monarchies du Golfe de contribuer financièrement au processus de reconstruction, mais cet appel ne semble pas trouver d'écho dans les capitales occidentales ayant soutenu les rebelles, tout du moins en l'absence d'un règlement politique.

Dans les rues de Damas, alors que certains chauffeurs de taxi sont inquiets du rationnement, pour d'autres le plus gros inconvénient reste le temps perdu à faire la queue.

Houssam Antabli vient de faire un plein à 20 dollars (17 euros) avec de l'essence non-subventionnée, pour s'éviter une longue attente.

"C'est à ce prix-là que j'achète mon temps. Je préfère travailler que d'attendre".

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